Lorsque l’on pense « femme fatale », on pense automatiquement femme excessivement charmeuse, au regard endiablé, à l’habillement sublimant les formes généreuses d’un corps dans l’apothéose de sa jeunesse. Un désir sexuel incandescent émane de cette femme et de la façon dont elle est filmée, la réduisant uniquement à une tentatrice quasi-diabolique. Si aujourd’hui l’image de la femme fatale est mise en avant et promulguée principalement par la publicité (de manière plus ou moins assumée), elle existe encore aujourd’hui de manière prépondérante et a marqué l’histoire de cinéma de par son existence directement liée aux avancées sociales des droits des femmes et des luttes de ces dernières.

La femme fatale, en tant qu’archétype – un modèle général représentatif d’un sujet – existe depuis bien avant l’invention du cinéma (on pense notamment à la manière dont la propagande romaine dépeignit Cléopâtre en femme fatale, sulfureuse et dangereuse du fait de ses nombreuses relations avec les puissants politiciens de l’époque. C’est le septième art qui nous intéressera ici, de par sa capacité toujours constante et puissante de pouvoir insérer dans le conscient et l’inconscient l’image machiste, sexiste que le patriarcat – depuis toujours au pouvoir dans le monde du cinéma – veut que nous ayons de la femme.

 

1) Comment est construit l’archétype de la femme fatale ?

La « femme fatale » fleurit dans le monde du cinéma dans la première moitié du XXème siècle, alors que ce tout nouvel art n’en était qu’à ses débuts. Très tôt, des films comme L’Ange Bleu, sorti en 1930, narrent la chute d’un viel homme dans la décadence à cause de la rencontre avec une femme à « fort potentiel érotique » qui dilapide son argent et qui part draguer d’autres personnes tandis qu’il sombre dans l’humiliation. Dès le cinéma muet, des réalisateurs ont présenté un antagoniste féminin machiavélique et synonyme de tentation comme pire piège, obstacle, damnation, à un protagoniste masculin : prenons par exemple le film de 1915, Embrasse moi, Idiot (très mal traduit de l’anglais, dont le titre original était A Fool There Was) qui donna lieu au surnom de « vamp », vampire, attribué à une femme fatale dont le pouvoir de séduction est utilisé par cette dernière, volontairement ou non, pour porter à la ruine un homme charmé. L’homme risque, dans ce genre de film, quasiment systématiquement de finir au fond de l’enfer, mort, souvent suicidé. La femme, ainsi que sa sexualité, EST l’ennemi du protagoniste masculin plein de bonnes intentions.

Le genre de films ayant inclus le plus de personnages de femmes fatales est le genre américain policier « noir ». Ces films-là se passent quasiment toujours au cœur d’une métropôle pluvieuse (au point que c’en est devenu un cliché), où un héros mélancolique pouvant être justicier -policier, juge, avocat, ect…- participe à la chute progressive dans la décadence d’une civilisation. Il est alors tenté par une femme fatale, sexuellement dévorante et excessivement attrayante, dont le héros ne doit surtout pas tomber amoureux ou céder à la tentation sexuelle, sous peine de lui aussi sombrer dans le mal.

On pourrait presque écrire un  » Petit Guide du Scénariste pour les Nuls en quelques leçons : comment écrire une femme fatale » tellement l’archétype est amplement utilisé. Celà permettrait de comprendre ce que représente l’archétype, et en quoi il s’agit de la projection de la défense patriarcale. Les points les plus simples seraient que : 1/ la femme fatale refuse  toujours la maternité, ne voulant « assumer son rôle » de mère 2/ la femme fatale détourne l’homme de l’exercice du pouvoir, que ce soit au sein d’une entreprise en tant que dirigeant, d’un pays en tant que politicien, ou tout simplement d’une maison familiale en tant que père. 3/ la femme fatale utilise les sentiments que le héros masculin a pour elle en tant qu’arme, par le biais de l’infidélité, de la trahison, des relations multiples ect… 4/ Enfin, la femme fatale est toujours heterosexuelle.

Le parallèle que l’on peut faire avec la société est flagrant : dans la première moitié du XXème siècle, les femmes avancent lourdement dans leur lutte émancipatrices, acquièrent de nouveaux droits et revendiquent le fait de ne plus être assignée à la place outrageante et esclavagiste que le patriarcat souhaite les voir confinées. La question de la sexualité des femmes voit enfin le jour dans la société moderne, et nombreuses sont celles qui ne veulent plus être cantonnées au travail domestique forcé, au viol conjugal, à la maternité ect… bref, leurs revendications de pouvoir vivre pleinement leur sexualité et d’avoir des ambitions de vies éclatent.

Pour le patriarcat, l’heure est grave. Pour la première fois de son histoire, il est obligé de se défendre : il illustre alors, avec les armes des métaphores, des allégories et des images, la civilisation qui « s’effondre de par l’avancée des femmes ». Le fait que les hommes ne contrôlent plus la sexualité des femmes est affiché dans les films grâce à l’archétype des femmes fatales, par le fait que ces dernières l’utilisent pour porter atteinte aux hommes, par la peur qu’on ces derniers d’une sexualité décomplexée, d’un désir féminin. La civilisation, dans ces films, s’effondre à cause (ou grâce) de cela : le héros masculin est mélancolique, sa vie n’est plus la même, la ville est pluvieuse, le ciel gris. Les campagnes sont idéalisées, le cœur rural profond et conservateur de l’Amérique (où l’on sait que la situation des femmes est la plus réactionnaire) est le dernier rempart face à une société moderne où les valeurs patriarcales, masculines, viriles, sont mises à mal, sont ciblées, sont vulnérables, face au danger de l’ascension au pouvoir des femmes. C’est un argument souvent très utilisé par les anti-féministes et les masculinistes contre l’avancée des droits des femmes : ces dernières, avec le féminisme, détruisent les civilisation , l’homme, le « masculin » comme le dit si bien Eric Zemmour, qui déroule les arguments du patriarcat comme si son sexe en dépendait.

(NOTE : ce genre d’argument remonte à bien plus loin que le cinéma : les dynasties chinoises accusaient les femmes (telle l’historique Yang Guifei) d’être responsables de la chute de l’Empire et de sa puissante civilisation en « distrayant » les hommes de pouvoir de leur tâche et du fardeau du pouvoir. Mais c’est là un autre débat).

On peut facilement comparer donc cette situation socio-historiques à notre Petit Guide du Scénariste . La femme fatale refuse d’être une mère parce que la vision patriarcale de la Femme est d’être une épouse au foyer obéissante et celle qui élève ses enfants, qui tient la maison familiale, et c’est donc ainsi qu’il diabolise l’image de la femme qui ne veut plus être enchainée par la maternité (par l’avortement, par exemple) en une femme fatale diabolique. La femme fatale distraie sa « cible » masculine de ses responsabilités parce que la vision patriarcale de la Femme est qu’elle doit rester le plus possible éloignée des postes importants, où elle est libre de ses décisions, responsable d’elle-même ET des autres. La femme fatale représente donc la peur du patriarcat de se voir dépouillé de son pouvoir. De même, elle est infidèle car, encore une fois, la femme est condamnée sous cette oppression à ne devoir toujours n’avoir qu’un seul homme durant toute sa vie ( rendant ainsi sa virginité « sacrée » par exemple ). Et enfin, une femme fatale ne peut être qu’heterosexuelle, car si elle était attirée par des femmes, elle ne serait plus un danger pour l’homme, sinon dans son égo. Les femmes fatales sont d’ailleurs toutes toujours attirées, à peu prés, par des hommes bien « masculins », aux idéaux virils, car encore une fois ces femmes fatales sont une atteinte à la masculinité de l’homme au sens traditionnel du terme.

Ainsi l’archétype même de la « femme fatale » s’est construit sur la réaction qu’a eût le patriarcat face à l’ascension des femmes dans la société, constituant cet archétype à des fins de propagande comme défense culturelle et sociale contre le féminisme et ses revendications, voulant convaincre les hommes par la peur du mal que peut apporter le féminisme dans cette société « bien comme elle est ». Ou plutôt comme elle était, vu que ces arguments, ces archétypes, cette propagande idéologique sont encore très utilisées aujourd’hui.

 

2) L’évolution de la femme fatale

Sharon Stones dans Basic Instincts

Néanmoins, l’archétype de la femme fatale a vite évolué en de multiples variantes et nuances. De nombreux réalisateurs ont, à partir de la deuxième moitié du Xxème siècle, proposé de nouvelles manières de traiter narrativement et émotionnellement ce personnage. Cela a donné du bon et du moins bon, mais surtout du plus féministe et du moins féministe, et une analyse de la situation actuelle du personnage peut illuminer ici la manière dont le cinéma hollywoodien voit la femme fatale.

Commençons déjà par nous situer avec un film (relativement) moderne qui est aujourd’hui l’exemple type moderne de la femme fatale : Basic Instincts, de Paul Vehoven et avec Sharon Stone, sorti en 1992. Ce film « culte » d’un réalisateur qui, il n’y a que quelques années, à offert sa dernière brique filmique à la construction de la culture du viol avec « Elle« , nous sert ici un film qui exploite et utilise la très forte sexualisation de la femme fatale de la

manière la plus archétypale possible. Il n’y a pas grand-chose à dire sur le film sinon qu’il repousse encore plus loin les limites de l’indécence d’un tel genre, en gardant au montage final du film un plan du tournage où on voit pendant une fraction de secondes le sexe de Sharon Stone, un plan dont l’actrice ne voulait pas qu’il soit dans la version finale du film. Elle en avertit alors Paul Verhorhven, qui lui affirma que le plan serait supprimé. Il n’en fût rien.

En bref, ce film reprend juste le modèle traditionnel de la femme fatale sans le changer plus que ça, sinon en s’autorisant à filmer directement le vagin d’une femme en profitant du changement des mœurs du demi-siècle qui l’a précédé. Rien de très glorieux donc, pour un film qui est connu et culte pour son « érotisme ».

Patricia Arquette interprète dans ce film deux femmes fatales, deux versions du « cauchemar sexuel » du héros.

D’un tout autre genre, le film de 1997 Lost Highway, de David Lynch, utilise et abuse aussi ce même archétype, mais en changeant la structure scénaristique. On a vu plus haut que, pour un protagoniste masculin de ce genre de film, céder à la tentation sexuelle ou émotionnelle d’une femme fatale est synonyme de damnation, et c’est un des obstacles du héros dans l’intrigue. Dans ce film d’un style très particulier qui est difficilement accessible, le héros commence l’histoire en étant en couple avec une femme fatale. Et, suivant ce schéma, il est dans un mal-être profond. Il ne peut pas faire l’amour avec sa femme correctement (troubles de l’érection ou éjaculation précoce), il est paranoïaque et croit que sa femme le trompe, et leur couple est à l’image de la maison dans laquelle ils vivent : vide et gris. Sans trop spoiler le film, le film aborde le thème du mal-être masculin face à la perte de masculinité, dans le couple, au lit, dans la vie de tout les jours ect… et sa narration chronologiquement déliée et son style de film puzzle (c’est à dire, un film difficile à suivre à moins que l’on n’assemble d’une certaine manière les différents indices narratifs disséminés dans l’intrigue) en font une analyse difficile. Il est question de pornographie, de pulsions sexuelles, de libido, bref, des sujets trop rarement abordés dans le cinéma, et qui ne pêcheraient pas à avoir plus d’interprétation que celles limitées et répandues dans la société moderne. S’il est difficile de comprendre quelque chose au premier abord dans le film, ou de définir clairement comment le film traite la femme fatale, on ne peut en revanche s’empêcher de penser que tout ces thèmes dont l’importance est primordiale ne sont vus, une fois de plus, que par le point de vue d’un homme, et que la femme fatale est, au final, rien de plus qu’une femme fatale, un obstacle pour le héros, l’origine de son mal-être.

 

 

 

Marion Cotillard dans Inception

Un autre film utilise l’archétype de la femme fatale, mais cette fois sans que l’on ne s’en rende compte directement : Inception, le célébrissime blockbuster de Christopher Nolan a dans son casting la frenchie Marion Cotillard. Son personnage reprend l’archétype de la femme fatale, mais de manière bien curieuse

: bien qu’il reprenne nombre de ses caractéristiques (elle est armée et dangereuse, distrayant le héros et étant un danger pour lui), le fait qu’elle ne soit qu’une projection

mentale du psyché du héros Leonardo DiCaprio qui s’en veut d’être responsable de sa mort créé un paradoxe étrange. Le fait que le protagoniste masculin soit la cause de son antagonisme avec la femme fatale du fait de ses remords est en contradiction avec le fait que la femme fatale soit un ennemi en soi, par essence plus que par une véritable cause psychologique ou morale. Le film reprend donc l’idée de la femme fatale en tant qu’obstacle émotionnel au protagoniste masculin, mais lui ôte bon nombre de ses caractéristiques sexistes tel que le refus de la maternité. Le couple a en effet des enfants dans l’intrigue. C’est donc une curieuse utilisation de cet archétype mais soit : il s’agit plus de récupérer l’héritage des films noirs mais de le ré-adapter à une nouvelle époque, plus moderne, plus à-jour sur la psychologie d’un rapport homme-femme. Cela n’en fait pas pour autant un film féministe ou réellement révolutionnaire de par cet aspect-là, bien que la nuance soit intéressante.

 

3) Peut-on déconstruire l’archétype de la femme fatale ?

Mais alors, étant donné que cet archétype est encore très populaire dans l’époque actuelle cinématographique, même s’il existe sous de nombreuses formes ou variantes, est-il possible de véritablement se le ré-approprier sous l’optique du féminisme ? Comment un concept fondamentalement sexiste et puisant dans la défense du patriarcat à l’avancée des droits des femmes peut être déconstruit ? Nombreux films ont essayés, encore une fois avec plus ou moins de succés.

Restons dans le même registre de science-fiction pour parler du cas du film culte Blade Runner, du grand Ridley Scott, sorti en 1982. Le film narre le futur dystopique d’une Los Angeles géante, polluée et « infernale », où la plupart des humains vivent dans la pauvreté des immeubles des bas-fonds de la ville et des quartiers ouvriers et populaires, tandis que les plus riches vivent en haut de gigantesques pyramides et sont servis par une race de clones créés génétiquement comme esclaves, les Réplicants. Le film rend hommage à tous les films noirs en stylisant leurs esthétiques traditionnels dans la SF : la soundtrack du film comprend le jazz des films noirs, il pleut toujours sur cette métropole décadente, et le héros est un ancien inspecteur de police mélancolique.

Rachel interprétée par l’actrice Sean Young dans Blade Runner

Le film comprend un personnage de femme fatale, Rachel, et c’est une Réplicante. Lorsqu’elle rencontre le héros pour la première fois, elle est indubitablement charmeuse, maîtrisée, stylisée, le tout dans les codes les plus classiques de la femme fatale. On pourrait croire que le film suit donc la construction sexiste de ce type de personnage : il n’en est rien. Tout le thème du film est : qu’est-ce qui fait notre identité, et qu’est-ce qui fait notre liberté ? Dès que le personnage de Rachel se distance de l’emprise du haut riche humain qui la possède en tant qu’esclave, il change totalement. Dès la seconde scène où

Rachel apparaît, elle devient totalement inoffensive, abandonnant sa stylisation sexuelle. Pour cause : Rachel ne saît pas qu’elle est une Réplicante. Elle ne sait pas qu’elle est créé exprès en tant que clone de femme fatale, utilisée par un vieil homme blanc riche pour ses fins égoïstes et sadiques. L’allégorie est donc ici facile à comprendre une fois qu’on la voit : le film dit clairement que l’archétype de femme fatale n’est qu’une illusion, que ce n’est que factice. Le personnage de Rachel est en réalité totalement différent de ce pourquoi sont créé la femme fatale : le héros masculin la blesse émotionnellement bien plus qu’elle ne puisse le faire, et elle n’est jamais après la première scène un obstacle pour le héros. C’est même elle qui lui sauve alors la vie vers la moitié du film, en utilisant l’arme de l’inspecteur lui-même. Ce personnage de Rachel, lourd de sens et très touchant, représente même la femme au sens humain et social du genre dans notre société à nous : forcée à être sexualisée par le patriarcat, forcée à s’opposer au héros masculin, elle découvrira sa vraie nature de femme libre, émancipée émotionnellement comme sexuellement, capable de penser et d’agir en opposition au modèle patriarcal, dont le héros masculin pourra parfaitement tomber amoureux sans qu’il ne tombe dans la « damnation » caricaturale et l’enfer que promettaient tout les autres films noirs.

Blade  Runner  est-il alors un film féministe ?   Il     pourrait     l’être      s’il n’abordait  pas  ce  thème  si  peu  (car l’intrigue de Rachel n’a au final qu’une très courte part dans un film qui parle de tout autre chose), et également si ce n’était       pour       une       scène       qui, malheureusement,     vient    soutenir    la culture du viol dans ce film qui, dans le cas   contraire,    aurait    tout    pour

Rachel interprétée par l’actrice Sean Young dans Blade Runner

être précurseur et progressiste. Il s’agit de la love scene, la scène où Rachel et le héros masculin s’embrassent, et utilise la vieille croyance patriarcale « quand elle dit non, elle veut dire oui ». Impossible alors de considérer ce film comme féministe, néanmoins, on peut s’interroger sur le pourquoi de l’existence de cette scène. Elle détonne totalement du reste du film, et son existence reste un mystère : est-c e que ce sont les producteurs du film, ayant déjà forcé le réalisateur et le scénariste à changé la fin qu’ils voulaient pour que le film soit plus rentable en salle, qui ont imposé cette scène pour attirer du public ? Es-ce le scénariste ou le réalisateur qui répètent consciemment ou non le vieux schéma patriarcal ? Difficile de le savoir, mais il est certain que cette love scene a de quoi décevoir.

 

 

 

N’est-il donc pas possible que l’archétype de femme fatale puisse être réapproprié par le féminisme ? Et bien, si l’on fouille un peu, notamment du coté des trop rares femmes réalisatrices, on peut trouver enfin quelque chose d’intéressant, et c’est au final assez révélateur qu’on ait du aller chercher les quelques 1 % de femmes à la direction d’un film pour ne pas toujours retomber dans le même travers de la femme fatale.

Les sœurs Wachowski, les génialissimes réalisatrices de Matrix, écrivent et réalisent en 1996 leur premier film : Bound. Le film suit l’histoire de deux femmes lesbiennes aux prises avec la mafia. Ces deux femmes se rencontrent alors que l’héroïne,Violet, est l’épouse d’un mari mafieux qui ne l’épanouit pas. Ensemble, elles lui voleront un beau paquet d’argent avant de s’enfuir. Violet incarne içi l’archétype de la femme fatale, mais qui cette fois est l’héroïne, le personnage principal du film, dont tout le thème et l’idée est qu’elle doit se libérer de la prison physique et mentale dans laquelle elle vit. Elle s’échappera alors de ce rôle de femme fatale, notamment grâce à sa relation homosexuelle avec Corky, sa jeune partenaire, qui est rappelons le à l’opposé du schéma classique du personnage.

Jennifer Tilly jouant Violet and Gina Gershon jouant Corky dans ‘Bound’.

Le film s’appuie et s’inspire clairement de la stylisation des films noirs de l’histoire du cinéma, mais le fait de renverser ses codes, en plaçant la femme fatale comme héroïne plutôt que comme antagoniste amène, tout le long du film, à déconstruire cet archétype ainsi que ce sur quoi il se base. Le mari de Violet est traité narrativement comme un homme stupide, irrespectueux de sa femme et méprisant, et c’est bien cette dernière qui, en se tirant de ses griffes, qui se révèle à elle-même son plein potentiel. Cet évolution se traduit par exemple par le fait que l’attitude de Violet change sensiblement selon les personnes qui l’entoure : elle se tient droite, habillée avec des longues robes rouges lorsque son mari est présent, mais troque cet accoutrement pour des jeans et des t-shirts lorsqu’elle est avec Corky. Elle découvre aussi ses passions avec sa partenaire, aussi bien émotionnellement que sexuellement.

Le film est plutôt bien mené, avec un intrigue captivante, et bien qu’il ait mille fois moins fait l’histoire du cinéma que le film suivant des Wachoskis, à savoir Matrix, on peut en tirer quelque chose de très important sur le féminisme, notamment quand on le compare avec les « bonnes » parties de la déconstruction de la femme fatale de Blade Runner. Dans ces deux œuvres, dès que la femme fatale se rend compte de l’emprise et de l’oppression qu’elle subit de la part de représentants du patriarcat – souvent le mari ou le patron – elle n’est plus une femme fatale, et tout l’archétype s’effondre sur lui-même sous le poids de ses propres contradictions.

En bref, on remarque que lorsqu’un film aborde le personnage sous, sinon une optique féministe, au moins pour sortir des préceptes de cet archétype, la femme fatale disparaît, remplacée par toute une myriade de personnages féminins et de nuances de caractères qui n’ont de limite que l’étendue de l’esprit humain. Ainsi, la seule manière de déconstruire proprement l’archétype de la femme fatale, ou plutôt de la situer dans un film de manière féministe, est de détruire cet archétype. On ne limitera ainsi plus les personnages féminins et leurs places dans l’Art dans ce statut réactionnaire, conservateur et misogyne, et le cinéma sera alors ouvert à toute l’infinité d’histoires qu’il est possible de raconter par des femmes, avec des femmes, et pour des femmes. Que bien sûr n’importe qui pourra aller voir, ressentir, et aimer.

Par Alessandro Zontone