Lorsqu’il s’agit d’évaluer si, oui ou non, un film contient des thématiques, des propos, ou des éléments misogynes, un outil revient souvent : le test de Bechdel. Ce test, plutôt simple, est composé de trois questions très faciles à répondre.

  • Question n°1 : est-ce que ce film inclut deux femmes ? (leur nom doit être cité à l’écran, et non être juste nommé au générique de fin ou dans la figuration).
  • Question n°2 : est-ce que ces deux femmes parlent ensemble ?
  • Question n°3 : est-ce qu’elles parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme ?

De manière relativement surprenante, lorsque l’on applique ce test sur des films considérés comme cultes, que ce soit 2001, l’Odyssée de l’Espace ou Star Wars ou encore Fight Club, les films ne parviennent parfois même pas à dépasser la première question. Bien que ce test ait des failles (il ne permet pas d’avoir un résultat absolu, un film avec une seule femme pouvant être bien moins misogyne qu’un film avec tout un groupe), il montre néanmoins un fait : la place laissée à la femme dans le cinéma que l’on connaît, populaire ou indépendant, est très limitée. Cela se traduit aussi bien devant la caméra (les actrices sont bien moins payées, leurs rôles se ressemblent énormément, il n’y a pas beaucoup de diversité possible dans le jeu d’acteur féminin sous le patriarcat ect…) et dans l’histoire (l’archétype de la femme fatale par exemple), que derrière : en France, alors que 50 % de femmes sortent d’école du cinéma en moyenne, il n’y a que 20 % de femmes réalisatrices (et on compte dans ce pourcentages celles qui n’ont réalisé qu’un seul film avant de changer de carrière, comme souvent cela arrive).

 

En Amérique : seulement 3 % de femmes réalisatrices. Leur salaire est de 42% inférieur.

 

Et de plus, elles ne bénéficient jamais d’autant de budget pour leurs films que les réalisateurs, le cas de Patty Jenkins pour Wonder Woman étant la seule et rarissime exception. Egalement, cela se ressent dans la mise en scène classique d’un film, et surtout, dans la manière dont les femmes sont filmées. Un œil masculin, qui baigne dans une entreprise majoritairement masculine et qui a été influencé et construit, dés son apprentissage cinématographiques et ses premiers films, à filmer le corps féminin de telle manière, se pose moins de question qu’un œil féminin. Les scènes d’actions, les scènes de dialogues, les scènes de sexe, s’en retrouvent alors changées, et la mise en scène différente. La conséquences est que, soit la femme est écartée pour mettre en valeur l’homme, soit son corps est beaucoup plus sexualisé et mis à nu que celui de l’homme.

 

 Sur les 500 films ayant eût le plus grand succès au Box-Office de la période de 2007 à 2012, environ 11 % avaient un casting dont la moitié était composée de femme.

 

Cela s’en ressent dans leur présence à l’écran, et dans la place qui leur est attribuée par les dialogues : seuls 31 % des répliques leurs sont attribuées, et un tiers d’entre elle sera sexuellement iconisée, ou dévêtue, à un moment durant le film. Si nous prenons maintenant l’entièreté du box-office depuis la naissance du cinéma, et que l’on prend les 2000 films ayant eût le plus de succès, la présence masculine est encore plus écrasante : il n’y en a que, à peu prés, 300 qui font objet d’une parité à ce niveau là, tandis que 1500 films affichent une présence masculine au temps à l’écran allant de 60 % à 100% du film. « En comparaison, il n’y a qu’environ 170 films où les femmes se partagent l’écran plus que les hommes ».

En prenant spécifiquement des films cultes, on arrive à une présence masculine quasi-exclusive. Pulp Fiction affiche un quota de 76 % masculine et de 24 % féminin. Sur tous les films de Tarantino, seul Kill Bill affiche un parité (et encore, il faut cumuler les deux volets, car le deuxième affiche au contraire une majorité masculine). Inception également, attribue à l’homme un temps à l’écran global de 82 %. Avatar, de son coté, parvient à un meilleur score mais sans non plus un grand succès : 66 % de présence masculine. Dernier exemple, Matrix, ne donne que 19 % de présence féminine.

Les choses vont un peu mieux avec le temps, mais de manière très lente et paradoxale. Par exemple, là où la saga Star Wars n’a jamais attribué plus de 25 % de présence féminine à ses films, le septième volet, le Réveil de la Force, place pour la première fois une femme en héroïne et protagoniste de son film. Néanmoins, là encore, les hommes occupent 76 % du temps à l’antenne. Il ne suffit donc pas de mettre une héroïne féminine à l’écran pour que le film puisse se targuer d’être réellement « progressiste » ou « féministe ».

 

Les vrais avancements proviennent surtout des films écrits et/ou réalisés par des femmes.

 

On remarque une augmentation de 10 % du temps qu’une femme passe à l’écran lorsqu’une réalisatrice est derrière la caméra, et également une augmentation de 9 % lorsque c’est une scénariste qui travaille à l’écriture.

La différence de traitement entre hommes et femmes ne se caractérise pas uniquement par leur temps à l’écran, donnée statistique qui, encore une fois, n’est pas absolue, et ne peut montrer qu’une tendance de l’avancée – ou du recul – des choses. C’est dans la manière dont les corps sont filmés que l’on perçoit également, et surtout, la différence.

 

A sa sortie, WonderWoman réalisé par Patty Jenkins a été encensé par toute une partie de la critique pour son soi-disant caractère féministe : en effet, le film a été réalisé par une femme, et pour la première fois depuis dix ans, une femme était tête d’affiche d’un film de super-héros. Néanmoins, il faut relativiser : sur les douze producteurs du film, il n’y a eût que deux femmes, et le film a été écrit par un homme. De plus, la structure narrative du personnage féminin a tout ce qu’il y a de plus banal : elle s’accomplit grâce à un homme, elle combat par le pouvoir de l’amour (là où Superman combat pour la justice, et Batman pour la vengeance) ect… de plus, beaucoup de personnages sont en plein dans le cliché raciste ( l’écossais alcoolique, le marocain malin et dragueur, l’amérindien chef de tribu qui communique par des signaux de fumée ect…). Et au niveau de la mise en scène ?

S’il y a bien quelques moments où la sexualisation du corps féminin est apparente, un ralenti sur le cheveux par là, une sublimation de sa tenue particulièrement dénudée (bien plus que celle de Superman ou de Batman), il semblerait que la réalisatrice Jenkins a tenté au mieux de la filmer comme on filmerait un homme lors des scènes d’actions, en devant céder parfois aux exigences des producteurs.

 

Patty Jenkins et Gal Gadot, les seules femmes présentes sur le film a en avoir fait la promotion

 

C’est dans sa suite, Justice League, que WonderWoman est particulièrement sexualisée. Filmée par Joss Whedon, qui s’est déjà occupé de la sexualisation de Scarlett Johansson dans Avengers, où chaque occasion était bonne pour montrer son décolleté à la caméra, ses tenues sont beaucoup plus moulantes, en cuir, au point que certains plans montrant ses fesses n’ont aucun intérêt particulier à part justement… montrer ses fesses. Cela est particulièrement criant lors de l’atterrissage de Batman. Dans les scènes de combat également, où les points de vues en contre-plongées sur son corps sont nombreux.

 

Cela montre bien la différence de traitement entre un œil masculin et féminin.

 

Prenons deux œuvres qui ont étés massivement regardées par le public, aussi bien sériel que filmique : Game of Thrones, et Fifty Shades of Grey. Les deux œuvres n’ont quasiment rien à voir, et ne ciblent pas le même publique. Si en théorie, Game of Thrones est censé être dirigé envers chaque sexe – bien qu’il y ait certainement un accent mit sur le public masculin – Fifty Shades assume d’être dirigé envers un public féminin. Pourtant, il n’y a quasiment aucune différence au niveau de la mise en scène entre les deux œuvres.

Bien sûr, le sexe n’est pas le même dans GoT que dans Fifty Shades. Là où ce dernier mise sur un certain érotisme (gros plans, ralentis, couleurs chaudes), la série médiévale-fantastique fait dans le réaliste, dans la violence, et dans le cru. Néanmoins, au niveau de la manière dont on filme le corps féminin, difficile de noter les différences.

 

La première des choses est que la femme est beaucoup plus mise à nue que l’homme.

 

Dès le premier épisode de GoT, le corps entier d’une actrice principale (Emilia Clarke) est dévoilé à la caméra, ainsi que ceux de prostituées, et ce, dans un grand nombre d’épisodes. Pourtant, on voit rarement un corps masculin autant mit à nu. Un épisode montre bien une paire de fesses, appartenant à Jason Momoa, très brièvement, mais on ne verra jamais son sexe tel que ça peut être cas pour le personnage de Rose par exemple. Et pour Fifty Shades, il est assez étonnant de noter que, pour un film destiné à un public féminin, le corps de l’homme soit filmé, érotisé, ou iconisé avec autant de… flegme. Toujours le même type de plans tailles, jamais de mouvements particuliers, il a beaucoup moins de plans que la protagoniste féminine, qui a par contre droit à toute une panoplies d’effets. Son corps est également mit à nu, de sa poitrine à ses poils pubiens, alors que pour l’homme, on ne voit rien sinon son abdomen, ses épaules, et un rapide plan sur le bas de son ventre. Bref : la femme est beaucoup plus mise à nue, beaucoup plus captée par un œil voyeur, beaucoup plus vulnérable à la caméra. Cela vaut également pour la manière dont est filmé le sexe en lui-même : par exemple, dans une scène de sexe précise, le protagoniste masculin se tient derrière le dos de son « amante », et ses doigts effleurent sa peau alors qu’ils remontent vers ses bras, lui provoquant un frisson. L’acte qui est censé provoqué l’érotisme est donc bien évidemment le léger touché de ses doigts sur sa peau : pourtant, la caméra ne s’y attarde que pour quelques instants, préférant cadrer la poitrine de la femme. C’est peut-être une intention volontaire de la réalisatrice, mais il est également probable que les producteurs aient voulus appuyer pour atteindre également le public masculin.

Ce genre de différence de traitement dans les scènes de sexe n’est pas récent, bien sûr. Basic Instinct n’en n’est que une de ses nombreuses preuves, avec sa scène de sexe qui montre de manière décomplexée et assumée tout le corps de Sharon Stone, alors que l’on cache le corps de l’homme de manière chaste. Ce problème du traitement du corps est quelque chose de très présent à Hollywood.

 

Quasiment chaque actrice célèbre, qui a gagné un Oscar ou qui a signé avec un grand producteur/réalisateur, a montré son corps, sinon une, au moins plusieurs fois pour pouvoir devenir célèbre, alors que ce n’est le cas que de très peu d’hommes.

 

Un cinéma féministe ne doit pas uniquement se contenter de placer de femmes en tête d’affiches, ou de faire du marketing autour d’une présence féminine forte, si ce n’est pas le cas dans le fond. Seule la réelle présence de femmes permettra de résoudre ce problème, et il faudra avoir une réalisatrice, une scénariste, des productrices, et même d’avoir des ouvrières dans la technique, au cadrage, à la prise de son : ainsi, le monde du cinéma n’aura plus a être masculin.

Alessandro Zontone