Courant novembre, l’association Politiqu’elles a eu la chance de rencontrer des étudiantes de SciencesPo, à l’occasion de la formation Raise your Voice. Cette formation de trois séances hebdomadaires a pour objectif de lutter contre le sexisme dans la prise de parole, par l’enseignement des fondamentaux de l’art oratoire. Cette année, le Pôle Egalité de Sciences Polémiques, l’Oratrice, a été rejoint par l’association Politiqu’elles. C’est dans ce cadre privilégié et intimiste que dix étudiantes motivées ont participé à la formation, en commençant par nous partager leur expérience à SciencesPo.

Une initiative nécessaire

La séance a débuté avec un constat qui est, sans grande surprise, désolant. L’appropriation de l’espace public à SciencesPo, notamment à travers la prise de parole, suit les schémas de genre. Bien que les femmes représentent 60% de la population étudiante de SciencesPo, les hommes participent beaucoup plus à l’oral. Dans les rentrées solennelles, 80% des étudiant·e ·s prenant la parole sont des hommes. Ce monopole masculin est renforcé par le syndrome de l’imposteur, auquel les femmes sont globalement plus sujettes. Il s’agit d’un sentiment d’illégitimité, qui se manifeste le plus souvent par un manque d’estime de soi. Les participantes soulignent qu’elles n’ont pas confiance en elles et pensent manquer de légitimité pour échanger sur des sujets en public. Cette appropriation de l’espace public ne reste pas cependant au niveau symbolique, mais participe à créer des écarts et des inégalités empiriquement observables. Deux des dix étudiantes – toutes les deux en master – ont indiqué que cette différence était particulièrement visible lors dans les évènement networking et les entretiens avec des professionnels. Les hommes se montrent plus confiants et hésitent moins que les femmes à se lancer, et monopolisent ainsi la parole et l’attention. C’est précisément de cette façon que les écarts salariaux, une conséquence réelle sur la vie quotidienne, apparaissent.

 

Pourtant, SciencesPo multiplie les actions anti-sexistes. Rappelons que SciencesPo figure parmi les dix « champions » universitaires sélectionnés par l’ONU Femmes, saluant l‘engagement de l’Institut et ses actions internes en faveur de l’égalité femmes-hommes au sein de l’université.

Les professeur·e·s et personnes de l’administration sont formé·e·s pour lutter contre les biais de genre. Il y a une claire divergence entre les moyens mis en place pour la lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel et l’indifférence vis-à-vis de ce problème pourtant bien réel. Ce contraste s’explique par l’enracinement profond de ce cliché dans la construction des identités de genre – les hommes sont plus bruyants, les femmes plus timorées. C’est d’autant plus difficile d’y remédier qu’il s’avère laborieux de corriger ces biais de manière efficace. Mais les récents travaux des urbanistes sur la cour de récréation ou la ville comme espace genré accroissant les inégalités de genre commencent à donner des réponses concrètes pour mettre fin à l’agencement genré de l’espace public.

 

 

Bilan sur le partenariat SciencesPolémiques et Politiqu’elles

 

Le retour des participantes sur la formation s’est révélé très positif. La formation a été ressentie par les étudiantes comme complète, et de qualité. Entre la première et la troisième séance, une évolution majeure a pu être observée : elles semblent être beaucoup plus à l’aise en public, aussi bien dans leur posture que dans leur prise de parole. Maîtriser les outils théoriques et techniques de l’art oratoire permet d’acquérir un sentiment de légitimité, ce qui manque aux femmes. Ces trois séances leur ont apporté un regard critique sur l’appropriation de l’espace public par les différents étudiants, et, le plus important, la confiance en soi qu’elles n’avaient pas nécessairement au début.

 

 

Et la suite ?

 

L’essentiel, c’est de porter un regard critique sur les situations du quotidien. Il est primordial d’observer le contraste d’appropriation de l’espace public entres femmes et hommes dans les exemples du quotidien, encore faut-il le remettre en question. Oui, les hommes participent plus à l’oral. Non, ce n’est pas parce que les hommes sont meilleurs orateurs, sont plus audacieux, ont une voix plus forte. L’espace public et comment les différentes personnes l’occupent relèvent avant tout d’une construction sociale. Et dans un second temps, il faut multiplier les formations comme Raise your Voice, pour insuffler légitimé et confiance à des femmes qui en ont été privées durant leur socialisation primaire, secondaire, et qui le seront tout au long de leur vie.

Egalement, suite à cette formation, nous avons pu émettre un regard critique sur notre approche en tant qu’association féministe. Conformément aux travaux de l’universitaire britannique Mary Beard, la prise de parole des femmes ne peut se faire sans une déconstruction des critères de l’art oratoire. Ces derniers valorisent les attributs « masculins » dans le but de limiter la prise de pouvoir des femmes. Il ne s’agit pas d’autocensure mais de censure sociale. Ainsi, le risque de centrer les efforts uniquement sur des formations destinées aux femmes est d’incomber la responsabilité aux femmes « qui n’oseraient pas », « qui ne sauraient pas s’exprimer », « qui ne parleraient pas assez fort » et non de pointer le problème d’écoute. C’est pourquoi, nous saluons toutes les initiatives d’art oratoire visant à l’équité tout en regrettant le peu de place laissé aux associations féministes, ce qui a été le cas dans ce partenariat, au regret des participantes. Nous espérons pouvoir, à l’avenir, améliorer cette formation.

 

Et si nous n’apprenions pas aux femmes : « Raise your voice ». Mais prônions plutôt : « Listen to women’s voices » ?

 

Ophélie Adolle