Dans une enquête intitulée « Violences et rapports de genre » (Virage), l’Institut national d’études démographiques (INED) signale qu’environ 600 000 femmes et 200 000 hommes sont victimes de violences sexuelles et/ou sexistes en France chaque année. Concept forgé dès 1974 par Noreen Connell et Cassandra Wilson, la culture du viol désigne l’ensemble des représentations et des mécanismes qui conduisent à banaliser les violences sexuelles et sexistes, et ainsi, à protéger de manière implicite les agresseurs au détriment des victimes. D’après le sociologue Eric Fassin, cela revient à « penser la violence sexuelle en termes culturels et non individuels, non pas comme une exception pathologique, mais comme une pratique inscrite dans la norme qui la rend possible en la tolérant voire en l’encourageant ». Il s’agit donc de faire le lien entre la culture d’une société et les violences sexuelles et sexistes qui s’y déroulent. C’est peut-être la culture du viol qui explique la majorité des difficultés rencontrées dans la lutte contre ces violences : il est donc important de la comprendre.

 

Photo Radio-Canada

La culture du viol passe d’abord par des idées reçues sur le viol lui-même. On imagine par exemple souvent que ces crimes sont commis dans un lieu public, la nuit, par un inconnu. Mais selon le Collectif Féministe Contre le Viol, l’agresseur fait partie de l’entourage de la victime dans 80% des cas. Un violeur est donc quelqu’un qui semble « normal » ; c’est même souvent une personne à qui la victime fait confiance, ce qui facilite le crime. Parce que, rappelons le, le viol se caractérise par une pénétration réalisée avec violence, contrainte, menace ou surprise. Et la contrainte morale compte.

 

La culture du viol est aussi éminemment liée aux stéréotypes de genre, c’est-à-dire à l’ensemble des attributs qui seraient prétendument féminins ou masculins et qui sont en fait le produit d’une construction culturelle, comme l’expliquait déjà Simone de Beauvoir. Dans cette culture stéréotypée, on retrouve par exemple l’idée que les femmes prennent du plaisir à être forcées. Cette idée est véhiculée par les représentations culturelles, comme dans Star Wars – L’Empire contre-attaque, où Han Solo embrasse la princesse Leïa contre son gré. Ces clichés encouragent également les hommes à être brutaux, à afficher leur force et à montrer leur virilité. De la même manière, leurs besoins sexuels sont considérés comme impératifs et supérieurs à ceux des femmes, alors qu’aucune thèse scientifique sérieuse ne vient l’étayer. L’idée que les femmes doivent être au service du plaisir des hommes perdure également, quitte à ce qu’elles n’osent pas exprimer leurs envies ou, plus grave, leurs non-envies. L’apogée de ce phénomène étant atteint dans le viol, où la victime sert d’objet de jouissance à l’agresseur et n’est perçue plus que « comme corps à consommer, simple support d’une pratique masturbatoire » (Neyrand, 1996). Rappelons pourtant que l’on ne doit jamais une relation sexuelle à quelqu’un d’autre, même dans le cadre du mariage : le viol conjugal est reconnu depuis 1990.

 

Illustration Hélène Ducrocq

La culture du viol se traduit également par le fait de placer la faute au niveau de la victime. Comme lorsque l’on s’enquiert de la tenue portée par une femme agressée ou que l’on lui demande si elle a exprimé haut et fort son non-consentement… Si le viol ne nécessite pas l’expression d’un « non » haut et fort, en revanche, la relation sexuelle exige un accord tacite (qui est forcément compris, et j’insiste là dessus, à condition de faire attention à autrui) ou explicite, qui est encore la meilleure façon de s’assurer que tout le monde est d’accord. Concrètement, comme le souligne Marlène Schiappa dans son ouvrage intitulé La culture du viol (2017), cela amène à croire que les violences sexuelles et sexistes sont des « accidents » dont il convient de se protéger. Les femmes sont donc placées en « responsables [du] viol et de leur propre sécurité » ; en plus de culpabiliser les victimes, ce processus conduit à éliminer les violeurs du processus de prévention, entretenant par là même cette fameuse culture du viol.

 

Ce climat favorable à la persistance des violences est présent partout, y compris dans des sphères censées protéger les victimes. Aussi, malgré des efforts faits dans le domaine de l’accueil de ces dernières, des dysfonctionnements perdurent et entravent le processus judiciaire. Les procédures judiciaires sont ainsi très longues, spécialement en cour d’Assises où sont jugés les viols. Tous les policiers et toutes les policières ne sont par ailleurs pas formé.e.s aux violences sexuelles et sexistes, méconnaissant par exemple le phénomène d’amnésie traumatique, qui conduit les victimes à parler des années après les faits. Il n’est en outre pas toujours facile de se reconnaître, puis de se déclarer victime de violences sexuelles et sexistes, tant à cause de ce que ce statut implique au regard de la société que parce que souvent, les victimes connaissent leur agresseur. L’allongement de la prescription à 30 ans à compter de la majorité d’une victime mineure au moment des violences au sein du projet de loi Schiappa, est donc une avancée à saluer.

 

Photo sansouicestunnon.umontreal.canada

 

Pour toutes ces raisons, je suis intimement convaincue qu’il est temps qu’une prise de conscience sociétale ait lieu. Connaître la culture du viol pour pouvoir la déconstruire, voilà aujourd’hui l’enjeu ! Cette déconstruction passe avant tout par une éducation à une sexualité consentie et libérée des stéréotypes de genre. Mais le consentement, qu’est-ce que c’est, comment s’en assurer ? Comme on le voit très bien dans le documentaire de Delphine Dhilly et Blandine Grosjean, Sexe sans consentement (que je vous invite d’ailleurs vivement à regarder), tout est question de communication (promis, ça ne brise pas le rapport de séduction, ça fait même l’inverse parfois) et d’attention portée à l’autre. Rappelons encore une fois que céder n’est pas consentir. L’avènement de cette sexualité épanouie passe enfin par la déconstruction des stéréotypes genrés pour que chaque personne puisse adopter les pratiques sexuelles qu’elle désire, en se détachant de rôles pré-établis qu’elle est « censée » adopter en fonction, par exemple, de son sexe. Cette nouvelle vision de la sexualité ne réduit donc pas l’espace des possibles, au contraire, elle l’agrandit en invitant chacune et chacun d’entre nous à définir librement sa sexualité !

 

Si vous êtes à la recherche d’une assistance ou que vous souhaitez obtenir des informations sur les violences sexuelles et sexistes, vous pouvez contacter le Collectif Féministe Contre le Viol au 0 800 05 95 95.

Mandine Pichon-Paulard