Le vendredi 11 juin, l’association Politiqu’elles organisait en collaboration avec la Direction de la transformation publique (DITP) un atelier de travail sur le cyberharcèlement et le cybersexisme réunissant une douzaine d’associations et organisations expertes du sujet ainsi que plusieurs administrations. Cet évènement a permis d’amorcer une réflexion commune sur les leviers à mobiliser pour renforcer la lutte contre le cyberharcèlement et le cybersexisme et d’alimenter les réflexions autour de la rédaction du nouveau plan d’action national Gouvernement ouvert 2021-2023. Il s’agit d’une collaboration inédite visant à impliquer davantage les acteurs de la société civile engagés contre le cybersexisme et le cyberharcèlement à la fabrique de l’action publique.

A la suite de cette réunion de travail, une proposition d’engagement à intégrer au prochain plan d’action Gouvernement ouvert a été transmise à la DITP afin de mettre en place une task force pour poursuivre cet échange entre acteurs de la société civile et administrations avec pour horizon la co-élaboration d’une proposition feuille de route interministérielle contre le cybersexisme et le cyberharcèlement. Cette task force aura également vocation à favoriser le partage d’expérience entre les associations et agents publics engagés sur le terrain contre les cyberviolences.


          Le numérique est un vecteur avéré d’avancées et d’émancipation en matière de lutte contre le sexisme et de protection des droits de l’enfant comme l’ont par exemple montré les campagnes #Metoo et plus récemment #MetooInceste. Néanmoins, la constance de phénomènes de cyberharcèlement et cybersexisme crée de nouveaux risques en ligne pour le jeune public et tend à reproduire les discriminations et mécanismes de silenciation des femmes et des minorités sexuelles dans l’espace public. Quelques définitions importantes (rédigées par le Centre Hubertine Auclert) :

  1. Cyberharcèlement : Acte agressif, intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électronique (courriels, SMS, réseaux sociaux, jeux en ligne, etc.), de façon répétée à l’encontre d’une victime. Ces actes de violences psychologiques peuvent prendre des formes variées : insultes, dénigrement, propagation de rumeurs, menaces en ligne, etc.
  2. Cybersexisme : Faits qui font violence, se déploient à travers le cyberespace, contaminent l’espace présentiel ou réciproquement et qui visent à réitérer les normes de genre ciblant distinctement garçons et filles ; bref, à mettre ou à remettre chacune et chacun à la « place » qui lui est assignée dans le système de genre.
  3. Cyberviolence : Violence qui s’exprime à travers les outils numériques, notamment via internet, les téléphones portables et les jeux vidéo. La cyberviolence peut prendre de multiples formes, qu’il s’agisse de violences ponctuelles (insultes, humiliation, intimidation, mise en ligne de photos ou vidéos intimes, etc.) ou de violences répétées relevant du harcèlement. Elle présente des spécificités liées aux médias numériques : capacité de dissémination vers un très large public, caractère incessant de l’agression, difficulté d’identifier l’auteur et d’agir une fois les messages diffusés.

Si les cyberviolences sont consubstantielles au développement des réseaux sociaux et du numérique en général, les périodes de confinement ont eu un effet catalyseur sur le nombre des signalements de cyberharcèlement (l’association E-enfance a enregistré une hausse de 26% des signalements en 2020 sur la ligne d’assistance Net Ecoute 3018) et ont contribué à une plus forte visibilité de cet enjeu dans l’agenda des pouvoirs publics. Les manifestations du cybersexisme sont également plus identifiées dans le débat public, comme l’a montré le récent succès du documentaire #SalePute de Florence Hainaut et Myriam Leroy qui rappelle que les femmes sont vingt-sept fois plus susceptibles que les hommes d’être harcelées via Internet et les réseaux sociaux. Néanmoins, la dimension sexiste des cyberviolences bénéficierait d’un meilleur ciblage par les dispositions et politiques publiques en vigueur.

             Dans ce contexte, les différentes structures présentes à l’atelier Gouvernement ouvert du 11 juin ont eu l’opportunité de formuler des pistes d’actions concrètes pour améliorer les dispositions anti-cyberharcèlement et de lutte contre le cybersexisme. Plusieurs volets ont été abordés : l’éducation et la prévention, la régulation des contenus, les sanctions, la prise en charge et l’accompagnement des victimes. Cet atelier a souligné les nombreuses actions sur le terrain des différents acteurs de la société civile présents, dans certains cas en partenariat avec les pouvoirs publics et les solutions existantes pour prévenir le cyberharcèlement dès l’école. Cependant, des manques importants subsistent.

En amont, la prévention et la sensibilisation pourrait être renforcées et prendre davantage en compte le cybersexisme en donnant une place importante aux enjeux d’égalité femmes-hommes dans le programme. L’importance de la formation doit également être soulignée à la fois pour les professions qui sont confrontées aux victimes de cyberharcèlement et cybersexisme (professionnels de santé, policiers, magistrats en particulier) mais aussi pour les corps de métiers les plus à risque face à ces phénomènes tels que dans les secteurs médiatique, politique ou militant.

En aval, le signalement des contenus de cyberharcèlement et cybersexisme reste complexe et le manque de données disponibles nuit à la création de nouvelles solutions et à une plus grande responsabilisation de toutes les parties prenantes concernées. De nouveaux moyens et efforts devraient aussi être mobilisés pour améliorer la reconnaissance et la prise en charge des victimes de ce type de cyberharcèlement et le suivi des plaintes afin de renforcer l’arsenal juridique en place et son effectivité.

Les participants ont aussi réfléchi à des dispositifs institutionnels pouvant améliorer la gouvernance des politiques publiques en associant de près les associations et organisations spécialisées.

Le résumé des différentes pistes de réflexion et d’action formulées pendant l’atelier   :

Piste d’action n°1 – Systématiser la sensibilisation des enfants, à la fois dans les établissements scolaires et en dehors, avec plusieurs sensibilisations au cours de la scolarité, en mettant une emphase sur les enjeux du cybersexisme :

  • Démarrer la sensibilisation “précoce”, dès l’école primaire voire l’école maternelle et intégrer au programme scolaire national la lutte contre le cybersexisme et le cyberharcèlement, en partenariat avec les associations spécialisées.
  • Sensibiliser les parents d’élèves aux enjeux du cybersexisme et du cyberharcèlement. 
  • Renforcer l’éducation aux médias et l’éducation à l’utilisation des réseaux sociaux ainsi qu’à la vie affective. 
  • Systématiser la sensibilisation aux enjeux de l’égalité femmes/hommes dans chaque action d’éducation aux outils numériques à l’école.
  • S’appuyer sur les réseaux sociaux utilisés par le jeune public (tel que Tik Tok, Instagram, Snapchat,…) pour sensibiliser et éduquer aux enjeux de cyberharcèlement.
  • Rendre obligatoire la formation initiale et continue du personnel enseignant et éducatif sur le cyberharcèlement (exemple :  le programme clé en main“Non au harcèlement”).

Piste d’action n°2 :  Mettre en œuvre une feuille de route/politique publique interministérielle rédigée avec les associations et organisations spécialisées afin de coordonner et visibiliser les différents pans institutionnels de la lutte contre le cyberharcèlement et cyberharcèlement :

  • Identifier un référent cyberharcèlement/cybersexisme auprès de l’Observatoire de la haine en ligne
  • Proposer la nomination d’un.e délégué.e interministériel.le de lutte contre les cyberviolences comme la DILCRA.
  • Mesurer l’ampleur du phénomène du cybersexisme en obtenant des données via par exemple l’Observatoire de la haine en ligne ainsi qu’en comptabilisant le nombre de plaintes déposées pour des actes de cybersexisme ou de cyberharcèlement.
  • Publier les données disponibles en format libre sur les signalements de cyberharcèlement et cybersexisme pour faciliter le travail des associations et pouvoirs publics et favoriser le développement d’outils de détection.
  • Envisager une étude par exemple portée par le HCE et le CNNUM sur les violences en ligne, en particulier le cybersexisme.
  • Prendre en compte les enjeux de cyberharcèlement/cybersexisme dans les discussions en cours sur le “Digital Services Act”;
  • Mettre en place une task force pouvoirs publics/société civile pour suivre les outils existants, favoriser les partages d’expérience et les collaborations et proposer une stratégie globale en matière de cyberharcèlement et de cybersexisme.


Piste d’action n°3 – Renforcer les dispositifs de lutte contre le cyberharcèlement et le cybersexisme dans le monde professionnel :

  • Développer des formations aux corps de métiers particulièrement exposés tels que les journalistes et pigistes, les élu.e.s et personnalités publiques pour donner des outils pour prévenir, réagir et se protéger en cas de vagues de cyberharcèlement.
  • Lancer une mission sur la reconnaissance du cyberharcèlement comme un accident du travail et développer en parallèle des protocoles ciblés dans les professions les plus exposées.

Piste d’action  n°4 – Améliorer la régulation des vagues de cyberharcèlement et responsabiliser les plateformes pour intensifier les efforts déployées contre le cyberharcèlement et cybersexisme :

  • Prendre en compte le signalement d’actes de cyberharcèlement ou de cybersexisme dans l’outil de signalement Pharos ou à travers une structure adossée à Pharos. Améliorer la lisibilité de l’outil de signalement sur les réseaux sociaux, notamment à travers une campagne de communication
  • Travailler avec les grandes plateformes sur une série d’engagements de lutte contre le cybersexisme et le cyberharcèlement, sur le modèle de ce qui a été fait pour la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie.
  • Automatiser le repérage par algorithme et la suppression des contenus les plus graves.
  • Créer des groupes de signalement, avec les plateformes et des associations agréées pour faciliter le signalement et la modération des contenus contenant du cybersexisme ou des actes de cyberharcèlement.

Piste d’action n°5 – Améliorer la prise en charge des victimes et l’effectivité du cadre en vigueur :

  • Former les policiers ainsi que les magistrats aux enjeux spécifiques du cyberharcèlement et du cybersexisme.
  • Accroître la visibilité du cadre légal concernant la régulation des contenus sur les plateformes numériques et des outils qui se sont développés à destination de tous.
  • De façon générale, prévoir des moyens additionnels pour assurer une plus grande effectivité du droit et de la répression du cyberharcèlement.
  • Prévoir une prise en charge des soins somatiques et psychotraumatiques dispensés à toutes les victimes de cyberviolences.
  • Former l’ensemble des professionnel.le.s de santé(médecine généraliste, services des urgences, infirmier.e.s scolaires) aux conséquences du cyberharcèlement et du cybersexisme sur les victimes;
  • En matière de cyberviolences conjugales favoriser l’accès à des téléphones et ordinateurs protégés et gratuits dans les commissariats et centre de prise en charge.

Pour aller plus loin :