En 1980 l’excision est peu connue en France, mais des articles de presse et procès popularisent le sujet. On découvre par voie de presse un article intitulé “Traditions africaines contre justice française ?” , révélant qu’en juillet 1982 une petite fille de 3 mois est décédée des suites de son excision. Pourquoi ses parents ne sont-ils pas allés à l’hôpital ? Elle a saigné sans discontinuer et en est morte le 13 au matin. Après sa mort, ses parents l’ont emmenée à l’hôpital. Les médecins n’ont pas remarqué de traces de violence ou de maladie, jusqu’à ce qu’un interne baisse la couche de la petite et découvre la mutilation du sexe de l’enfant. L’affaire a été communiqué à la police et le père a été interrogé. Le père a répondu qu’il savait que l’excision était interdite en France et que pour cette raison, il n’a pas cherché à faire soigner sa fille. A cette époque, personne n’avait jamais évoqué le sujet des excisions en France à part quelques centres de PMI.

En 1973, le choc pétrolier et la crise économique modifient les conditions de circulation entre les pays et fixent les travailleurs venus en France. Le regroupement familial a ensuite été créé pour rassembler les familles. Les traditions poussant et incitant à l’excision ont donc été importé à la fin des années 1970.

Les affaires d’excisions causent un embarras en France : l’opinion publique ou les juristes sont d’accord pour affirmer que les enfants ne doivent pas être torturés de cette manière, mais aucune réponse légale n’y est apportée. Pourtant, l’atteinte à l’intégrité physique nécessite une intervention pénale. Le premier procès d’excision a lieu en 1979 mais les procès ont été jugés en correctionnelle jusqu’en 1983.

C’est à ce stade que Linda Weil-Curiel intervient. Avocate civiliste à ses origines, elle se plonge alors dans le code de procédure pénale. Au lieu d’ouvrir un dossier correctionnel selon le code pénal, elle découvre que les parents auteurs ou complices de l’acte d’excision auraient dû être portés devant la Cour d’Assises car la mutilation est un acte criminel selon le Code Pénal. Une disposition existe et indique que les associations qui ont pour objet la protection de l’enfance peuvent, sous conditions (5 ans d’âge pour l’association au moment des faits, mention dans les statuts,…), prendre part au procès en se constituant partie civile. Il fallait donc trouver une association qui accepterait de se porter partie civile. Toutes les associations de défense des droits des femmes étaient indignées, mais ne savaient pas contre qui se porter partie civile, et ne voulaient pas plaider contre les parents des enfants.

Linda Weil-Curiel affirme que les parents ne pratiquent pas les excisions pour le bien de leurs enfants mais par tradition et pour conforter le futur rôle de la femme selon ces dernières. Certains parents ont d’ailleurs indiqué pratiquer l’excision “pour que leur fille reste sage et qu’elle soit une bonne épouse, soumise à son mari”, c’est-à-dire pour que la femme soit conforme aux désirs et attentes de son époux.

Plusieurs associations africaines se sont alors regroupées pour discuter des réponses légales à apporter aux cas d’excisions. Awa Thiam, célèbre pour avoir écrit La Parole aux Négresses, s’est rangée du côté de Linda Weil-Curiel pour que les traditions ne soient pas poursuivies en France. Linda Weil-Curiel s’est donc constituée au nom de la Commission pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (CAMS) et a ainsi obtenu que les procès d’excision soient jugés devant la cour d’assises.

Un groupe de travail et de réflexion interministériel est créé, rassemblant médecins, professionnels de la petite enfance, ministre de la santé et Linda Weil-Curiel. Le but de ce groupe de réflexion était de réfléchir aux questions suivantes : comment prévenir les faits d’excisions, informer les familles et faut-il créer une loi spécifique pour les punir ?

A l’issue des discussions des actions de prévention avec des “femmes relai” sont mises en place. Ces femmes sont des femmes africaines qui jouent le rôle d’intermédiaire entre les familles et les structures françaises (assistantes sociales etc). Pour Linda, il était inutile de créer une loi spéciale pour les excisions alors que le code pénal existait déjà. Selon elle, créer une loi spéciale allait contre l’universalité de la loi qui nous protège. Si la loi est spéciale, elle pointe un doigt accusateur envers une population donnée. Elle préfère donc utiliser le code pénal qui s’applique à tous de façon égalitaire et sans discrimination sur le territoire français , pour punir les excisions en France.

Les magistrats et jurés n’étaient pas formés pour juger des procès d’excisions et étaient donc perdus et indécis face à ces affaires. En effet, les familles se sentaient légitimes de pratiquer les excisions et avaient le désir de conserver ce particularisme. Lors des premiers procès des peines avec sursis étaient prononcées. Le journal Libération a alors titré “L’excision est-elle un délit en France ?”. Un magistrat de la cour de cassation s’en est mêlé et en a parlé au procureur de l’affaire citée. Pour lui, couper les lèvres et le clitoris féminins (organes érectiles) sont des mutilations reconnues comme étant criminelles. L’auteur de ces faits a ainsi été renvoyé devant la Cour de Cassation. Or, l’auteur en question était en réalité une Bretonne qui avait pratiqué l’excision sur sa fille sans réelle explication (et non pas pour respecter une tradition). Les premiers procès contre les excisions ont conduit à l’application de peines avec sursis. Toutefois, le sursis n’a pas permis de punir assez durement les excisions.

Petit à petit les choses ont changé. Certaines familles ont abandonné la pratique de l’excision. Le contrôle PMI a été mis en place afin de veiller à ce qu’aucune excision ne soit pratiquée dans les 6 premiers mois de la vie des bébés. Or, il y avait une timidité du corps médical vis-à-vis des familles (certains médecins refusaient d’observer les parties génitales des bébés pour s’assurer que l’excision n’avait pas été pratiquée) si bien que ce contrôle fut difficile à mettre en place.

Linda Weil-Curiel a également été la première à défendre une jeune femme qui avait fui le Mali et avait écrit une lettre à l’OFPRA affirmant qu’elle était partie du Mali car elle ne voulait pas être excisée. La jeune femme avait remarqué qu’à une certaine saison les filles partent du village et ne sont plus les mêmes quand elles reviennent. Elle a demandé à sa sœur ce qui se passait et c’est ainsi qu’elle lui a révélé que les filles étaient mutilées. La famille avait trouvé un mari pour la jeune fille qui faisait ses études, et elle devait donc retourner au village pour être coupée en vue du mariage. Elle a refusée d’être coupée la veille de la cérémonie et s’est enfuie. Une amie lui a trouvé un billet d’avion, l’a aidé à faire un passeport et c’est ainsi que la jeune fille a débarqué en Europe. Or, le motif de la demande était inédit, si bien que sa demande d’asile avait été refusé. Linda a donc pris cette affaire en charge. Elle est désormais régularisée et a obtenu la nationalité française.

Une prévention s’est aussi mise en place et plusieurs films ont été créés pour alerter sur les excisions. Les films étant généralement des fictions ont permis aux femmes de s’identifier à l’héroïne, d’avoir peur pour leur enfant et donc d’avoir le courage de changer leurs pratiques et de remettre en cause leurs traditions. Toutefois, le problème des excisions n’est pas encore résolu et beaucoup de jeunes filles se font exciser pendant l’été à l’adolescence dans le pays d’origine de leurs parents.

Après tant d’années de procès et d’efforts pour déjouer les stratégies des parents, ceux-ci décidaient à présent de les envoyer en vacances à 13/14 ans, même quand les grandes sœurs essayent de les mettre en garde et les informent que les jeunes filles se font exciser sur place. Elles sont emmenées au village où elles sont excisées de force et mariées à la coutume dans la foulée et doivent donc avoir des relations sexuelles, le plus souvent forcées. Beaucoup de personnes exigent que les excisions soient pratiquées dans les hôpitaux et par des médecins (la tradition est profondément ancrée et ils préfèrent pratiquer l’excision de façon plus “sûre” en milieu hospitalier plutôt que d’y renoncer).

Lecture de procès-verbaux :

Linda Weil-Curiel nous a présenté le cas d’une famille polygame, avec des petites filles âgées de 6 ans et 3 mois, 13 et 14 ans. La famille part au Mali pendant les vacances. La mère des enfants reste quelques temps avec les filles, tandis que le père était rentré en France. Un matin, les filles réalisent qu’une grande réunion a lieu dans la maison. Les deux filles les plus âgées sont emmenées dans une salle de bain où se trouve un linge ensanglanté. Elles sont tour à tour coupées malgré leurs protestations. L’aînée va être mariée à un cousin dans les semaines à venir.

L’aînée raconte à propos du mariage : “ma mère m’a dit que j’allais être mariée et m’a demandé si j’étais d’accord par téléphone. J’ai dit oui car sinon ils ne me ramèneront pas en France (…) moi je ne l’aime pas et il me frappe” ou encore “les relations sexuelles c’est tous les jours et j’avais mal”, “que je sois d’accord ou non c’est pareil”.

Les filles ont porté plainte contre leurs parents à leur retour en France. Toutefois, lors du procès, les parents ont été protégés par les enfants qui ont nié les propos avancés quelques mois plus tôt.

Projection de différents films :

Un jour, un musicien originaire du Mali nommé Bafing a contacté Linda Weil-Curiel et lui a dit qu’il avait décidé de quitter son pays car il militait contre les excisions et que sa vie était désormais menacée pour cette raison. Cet homme a écrit une chanson contre les excisions, qu’il a fait découvrir à Linda Weil-Curiel. Il a ensuite réussi à s’acheter une caméra et a fait un film pour recueillir la parole de l’homme de la rue et d’une militante qui explique que même en Afrique beaucoup de femmes et d’hommes sont contre les excisions. Les hommes sont traditionnellement les chefs de famille et ont donc un rôle à jouer pour mettre fin aux traditions et plus précisément aux excisions. Le rôle qui est assigné aux femmes est celui d’être une bonne mère, si bien que leur parole n’est que très peu écoutée et qu’il est plus difficile pour elles de remettre en cause leurs traditions.

Aujourd’hui, Bafing organise un festival chaque année pour construire au Mali un centre social pour accueillir femmes et les aider.

Linda Weil-Curiel conclura la conférence sur ces paroles : “Vos enfants ne vous appartiennent pas et ont donc un autre destin que le vôtre”.

Pour plus d’informations sur le sujet :

La fédération GAMS présente à Reims (fédération Grand Est)

L’association Excisions parlons-en !

Mémoire sur les mutilations génitales féminines

The Cruel Cut