Mercredi 5 novembre, nous recevions Cécile Denjean, réalisatrice du documentaire « Princesses, pop stars & girl power » et la sociologue spécialisée en étude de genre Manon Reguet-Petit, pour une séance exceptionnelle de ciné-débat. Le sujet: l’émancipation de la femme et la formation de l’identité féminine, donnant naissance à une girl culture exploitée par une stratégie marketing redoutable.

Avant de commencer la projection du documentaire, Cécile Denjean nous explique l’idée prédominante. Il s’agit de montrer l’aspect sociologique de cette girl culture, de mettre en relief les articulations entre les différentes phases de la socialisation des femmes, qui prend un caractère unique face à un phénomène généralisé, qui ne touche d’ailleurs pas que les femmes, mais la totalité de la population. Hommes et femmes sont donc constamment exposés à la profusion des images et des concepts qui entourent la girl culture.

Après le visionnage du documentaire, place au débat! Les premières remarques vont à la sociologue Manon Reguet-Petit qui décrit un documentaire très riche, qui interroge sur les conséquences réelles de cette exposition systématique et outrancière à une girl culture qui est intériorisée et codifiée. Se pose aussi la question de l’interaction de la « planète rose » avec une « planète garçon ». Existe-t-il un rapport hiérarchique entre ces deux planètes, un satellite femme qui orbite autour de la planète garçon ? De plus, la sociologue insiste sur un paradoxe naissant. Certes, on a pu observer ces dernières années – du moins dans les pays occidentaux – une inflation des droits en faveur de l’égalité des sexes et de l’émancipation des femmes, qui s’accompagne dans les faits d’une diminution des inégalités hommes-femmes. Mais parallèlement, on ne peut que constater un phénomène de prolifération des stéréotypes de genre.

Manon Reguet-Petit met aussi en exergue le rôle des enfants, premières victimes de cette stratégie marketing. L’enfant apparaît comme le cheval de Troie de cette girl culture, il importe tous les stéréotypes transmis essentiellement par les moyens de communication, les médias et les interactions avec d’autres enfants, dans les autres instances socialisatrices, notamment la famille et l’école. La réalisatrice ajoute que contrairement à ce qu’elle pensait, les psychologues dénoncent l’intériorisation de ces stéréotypes, stéréotypes aux conséquences irréversibles. Y aurait-t-il un lien entre la faiblesse des luttes pour l’égalité des sexes et l’intériorisation de ces stéréotypes pendant l’enfance? La différence de salaire de 30% entre les sexes s’expliquerait-elle par les princesses et les barbies? 

Cécile Denjean évoque par la suite deux évènements marquants qui se sont déroulés peu de temps après la diffusion du reportage, deux buzz médiatiques concernant le phénomène de girl culture, qui auraient pu figurer dans son documentaire. D’abord, la prestation de Beyoncé au Video Music Awards chantant son titre “Flawless” devant un écran géant où est écrit «Feminist». Ensuite, l’initiative de Karl Lagarfeld, qui a fait défiler une série de mannequins sur talons hauts portant des pancartes aux slogans féministes. Défense d’une cause sincère ou instrumentalisation du phénomène girl power ? Il est certain qu’il existe une médiatisation extrême du girl power, une volonté de « faire le buzz » qui questionne parfois le fond, le contenu que possèdent véritablement ces actions féministes.

 La suite du débat s’est porté principalement sur l’existence d’un féminisme divisé en deux camps : Les femmes qui assument leur sexualisation et l’utilisent pour porter la cause féministe, et les autres qui refusent cette voie du féminisme et qui luttent contre la vision de la femme comme objet sexuel. Aujourd’hui et historiquement, il existe plusieurs définitions du féminisme et plusieurs vagues.

Le féminisme de troisième vague promeut depuis les années 1990 le girl power, l’émergence d’une autorité féminine et d’une femme qui se veut seul maître de son destin et de ses actions. Le documentaire cite d’ailleurs le groupe punk féminin Riot grrrl, très célèbre pour ses actions féministes chocs visant à s’émanciper des stéréotypes féminins et de la naissance de cette girl culture. Certes de façon controversée, on peut aujourd’hui prétendre à l’émergence d’un féminisme de quatrième vague, qui n’est pas encore stabilisé mais qui peut être illustré par la nouvelle campagne d’ONU Femmes, He For She, qui promeut l’égalité homme femme et invite les hommes à rejoindre la cause féministe. D’ailleurs, les deux invitées ont salué la présence de nombreux hommes dans la salle, soutenant l’égalité des sexes et cette nouvelle forme de féminisme.

La salle est unanime, la femme féministe a toujours été et reste encore aujourd’hui largement critiquée.Stéréotypée, elle est soit vue comme rigide et aigrie lorsqu’elle dénonce la femme comme objet sexuel, soit, si elle assume cette sexualisation, elle ne peut se revendiquer féministe. Il persiste une forme de catégorisation radicale de la femme qui est soit une salope, soit une vierge puritaine. N’est-t-il pas possible de dépasser les clivages de ces stéréotypes féminins et féministes ?

Enfin, les dernières minutes du débat mettent en relief l’existence d’un élément important du girl power. Certes Beyoncé reflète l’image de ce girl power, elle le défend, mais qui construit cette image? Qui est derrière tout le marketing qui entoure le girl power ? Bien que porté par les femmes dans les médias, le girl power est en fait essentiellement construit par des hommes, qui l’instrumentalise et s’en moque la plupart du temps. Se pose de nouveau la question de l’instrumentalisation du girl power et de la girl culture.

Océane Roux