Début décembre, nous avons rencontré la Docteure Noémie Duriez, médecin généraliste formée en gynécologie médicale, pour parler plaisir féminin, contraception et violences sexistes et sexuelles. Diplômée de médecine générale par l’Université Paris Descartes (Paris V) en juin 2018, elle est également titulaire d’un diplôme universitaire (DU) en gynécologie médicale par la Faculté de médecine Pierre et Marie Curie validé la même année et a débuté cette année un cursus de trois ans en sexologie avec la Faculté Paris Descartes. Elle exerce actuellement dans un centre de planification et d’éducation familiale (CPEF) de la ville de Paris, au centre de santé sexuelle de l’Hotel-Dieu et dans le cabinet de la Docteure Marguerite Anderson, dans le 14ème arrondissement de Paris. Merci à elle pour cet échange riche en enseignements.
Le plaisir des femmes
Si cette problématique s’invite désormais dans le débat public grâce à des initiatives féministes telles que la création du compte Instagram @tasjoui par Dorat Moutot, le plaisir féminin est encore un sujet tabou et nombreuses sont les femmes qui ont des difficultés à en ressentir lors de leurs rapports sexuels avec un.e partenaire. Est-ce quelque chose que vous remarquez lors de vos consultations ? Vos patientes vous parlent-elles facilement de ce sujet ?
Les femmes consultent généralement pour le côté médical tout d’abord, elles ne sont pas habituées à être écoutées sur la question du plaisir et il y a beaucoup de femmes pour qui ce n’est pas évident d’aborder ce sujet. De manière générale, les femmes ne parlent de leur plaisir et des difficultés qu’elles rencontrent dans ce domaine-là que si on leur pose la question. C’est pourtant un sujet extrêmement important. C’est pourquoi j’essaye de l’aborder et de mettre la patiente en confiance si je perçois un besoin. En revanche, il est intéressant de noter que lorsque je leur parle des violences qu’elles peuvent subir, elles sont moins surprises de la question, le sujet est moins tabou.
Le plaisir que les femmes peuvent prendre seules est entouré d’un tabou encore plus prégnant. Vos patientes vous parlent-elles tout de même de masturbation ?
Elles n’en parlent pas, mais moi je leur en parle ! Lorsque mes patientes se plaignent d’un problème dans leur sexualité, un manque de lubrification par exemple, je leur demande si elles se masturbent. Je ne sais pas si cela les choque… Quoiqu’il en soit, la masturbation peut être un exercice utile pour lutter contre certains troubles du désir. Je fais une formation pour être sexologue et le sujet de la masturbation est très présent ; il ne faut pas avoir peur de l’aborder.
D’après une étude réalisée en 2017 par le laboratoire Terpan et le magazine SoWhat, une française sur cinq ne sait pas situer son clitoris et le premier manuel scolaire à représenter cet organe entièrement dédié au plaisir est l’édition 2017 du Magnard. Constatez-vous une méconnaissance de leurs corps de la part des femmes qui vous consultent ? Pensez-vous que l’éducation à la sexualité qu’elles reçoivent est suffisante ?
Je pense que les femmes connaissent leur anatomie, elles savent généralement qu’elles ont un vagin, un clitoris… En revanche, il existe une méconnaissance de la physiologie féminine. Elles sont nombreuses à ne pas savoir qu’il est fréquent de rencontrer des difficultés dans sa sexualité. Je dirais que l’éducation à la sexualité est plutôt insuffisante, même s’il y a des choses mises en places. Le centre de planification rencontre par exemple les classes de 4ème à Paris, mais il existe une grande hétérogénéité territoriale des interventions dans ce domaine. Cette sensibilisation a lieu tôt dans la vie des élèves et, même si le fait que cela ait lieu avant le début de leur vie sexuelle est un avantage car cela prévient les comportements à risque, c’est aussi un âge où il est difficile d’aborder ces questions entouré des camarades de classe… je ne suis pas sûre qu’ils retiennent tout ce qu’on leur dit ! Une éducation sexuelle est également dispensée au travers du programme de science et vie de la Terre (SVT), mais le programme peut parfois être rapidement survolé. Femmes et hommes tentent donc de pallier ce manque en se référant à des sources d’informations peu fiables, comme des films. D’autres sources d’informations fiables existent, notamment sur Internet, mais elles sont trop peu consultées.
Selon vous, le porno a-t-il un impact sur la sexualité aujourd’hui ?
Le porno donne une image erronée du sexe, qui apparaît comme quelque chose de facile, d’inné et qui générerait du plaisir à tous les coups. Ce n’est pas vrai ! Dans l’imaginaire collectif, le sexe doit correspondre au porno et cela empêche les gens de parler des difficultés qu’ils rencontrent. Une pression particulière pèse aussi sur les épaules des hommes, qui mettent plus longtemps à consulter sur les difficultés qu’ils rencontrent dans leur sexualité que les femmes.
La contraception
La pilule, symbole de la libération des femmes et du contrôle de leur fertilité par celles-ci dans les années 1970, attire de moins en moins de femmes… Possibilité d’oubli et dosage hormonal relativement important font partis des facteurs qui influencent leur choix. Le dispositif intra-utérin (DIU), aussi connu sous le nom de stérilet, qui peut être en cuivre ou hormonal, fait partie des contraceptions plébiscitées par certaines d’entre elles. En posez-vous beaucoup ?
Il est vrai que beaucoup de jeunes femmes viennent pour échanger à propos du stérilet, et la plupart d’entre elles font finalement le choix de cette contraception ! J’en pose tous les jours et j’ai essentiellement de bons retours… mais ce n’est à mon avis pas un indicateur fiable de ce qui se passe dans les autres cabinets : le fait que je sois moi-même très favorable à cette contraception doit probablement influencer cela.
Que pensez-vous de la « clause de conscience » (nb : articles R.4127-47 du code de la santé publique et L2212-8 du code de santé publique, qui soulignent la possibilité pour les gynécologues qui le désirent de ne pas pratiquer d’avortement hors des cas d’urgence) concernant l’avortement ?
Si par ses convictions, un médecin est opposé à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il vaut mieux qu’il ne le fasse pas car même pour une femme qui est sûre de son choix, c’est un moment difficile à vivre. Il est donc important que la personne en face prenne le temps d’expliquer la procédure, de dire que des saignements, des douleurs, vont survenir. Il faut aussi pouvoir échanger à propos de la contraception future… Si le médecin n’a pas l’envie de bien le faire, il vaut mieux qu’il ne le fasse pas. En revanche, c’est indispensable qu’il adresse la patiente vers un confrère qui pratique cette procédure et se retienne de tout propos difficile pour la patiente. Je suis toujours choquée du nombre de patientes pour qui l’échographie (nb : normale dans la procédure) s’est mal passée car le radiologue n’était pas favorable à l’IVG.
De même, la vasectomie (méthode contraceptive qui se traduit par une opération mineure qui consiste à couper et à bloquer les canaux déférents qui permettent le transport des spermatozoïdes à partir des testicules. Ainsi, le sperme ne contient plus de spermatozoïdes et l’homme n’est donc plus fertile) est une méthode contraceptive qui n’implique l’utilisation d’aucune hormone et qui, en France, s’inscrit dans le cadre légal depuis 2001. Pourtant, elle n’a été choisie comme méthode contraceptive que par 0,1 % des français en 2017, contre 14 % des chinois et 21 % des britanniques. Quelle est votre expérience à ce sujet ? Les hommes sont-ils de plus en plus inclus dans le processus contraceptif ?
C’est une procédure dont je parle avec mes patientes, même si je ne la pratique pas car l’opération a lieu à l’hôpital. Il y a cependant plus de gens qui en parlent que de gens qui y ont recours, peut-être que cela est lié au délai de reflexion (nb : un délai de réflexion de 4 mois est imposé entre le premier rendez-vous et la réalisation de l’opération). Je pense qu’il y a, de manière plus générale, un développement de la contraception masculine : on me pose de plus en plus de questions sur le sujet. A titre d’exemple, il y a des consultations masculines tous les samedi matins au Planning Familial.
Et concernant l’IVG ? Les hommes sont-ils inclus dans le processus ?
Je pense qu’environ 20 % des femmes qui consultent pour une IVG viennent accompagnées de leur partenaire, ce n’est donc pas si rare que cela. Dans ces cas-là, je reçois bien évidemment les deux personnes et j’essaye d’inclure l’homme dans la démarche, en m’adressant à lui également lorsque j’explique les étapes de la procédure. Je lui dis aussi d’être présent pour sa partenaire, de la laisser se reposer, de regarder un film avec elle ou de lui préparer des petits fours (rires). L’avortement est quand même quelque chose qui peut se faire à deux. J’inclus aussi l’homme dans le choix de la contraception future qui, dans ces cas-là, est un choix du couple, probablement car les hommes présents sont à l’écoute de leur partenaire.
Les violences sexistes et sexuelles
Est-ce que beaucoup de femmes qui viennent vous voir ont subi des violences ? Comment abordez-vous ce sujet avec elles ?
Lorsque je les vois pour la première fois, je pose une série de questions à mes patientes et la dernière concerne toujours les violences. Régulièrement, elles répondent qu’elles en ont déjà subi. J’essaye ensuite d’échanger sur le sujet pour évaluer si cela qui a déjà été « travaillé », que ce soit par le biais d’un dépôt de plainte, à travers la discussion, à travers une psychothérapie… j’essaye d’évaluer si la patiente s’en est « libérée » ou si cela a toujours un impact sur sa vie, et sa vie sexuelle en particulier. Beaucoup de femmes qui répondent « oui » à ma question ne veulent pas aborder le sujet, mais c’est important qu’elles sachent que quand elles voudront le faire, le corps médical sera là pour les écouter. Il y cependant des femmes qui ont subi des violences et auxquelles je suis la première à poser la question qui, elles, souhaitent parler. Dans tous les cas, on voit que les violences subies ont un impact sur les relations de ces femmes, sur la confiance qu’elles peuvent avoir dans les autres, sur leur couple, sur les rendez-vous gynécologiques qu’elles hésitent parfois à prendre…
Le voile commence à se lever sur les violences obstétricales et gynécologiques, avec par exemple un rapport du Haut Conseil à l’Egalité sur le sujet en juin 2018. Est-ce quelque chose que l’on aborde au cours de votre formation ?
Nous n’avons pas une seule heure de cours sur les violences obstétricales et c’est un sujet dont on parle peu. C’est plutôt par notre parcours personnel que l’on peut y être sensibilisé. Personnellement, il y a deux habitudes que j’ai décidé d’adopter après les avoir observées durant des stages. D’une part, je demande toujours à mes patientes si elles sont d’accord pour être examinées avant de le faire, même si elles se sont probablement préparées à cette éventualité avant de venir. Cela me paraît normal. D’autre part, en fin de rendez-vous, je leur demande si elles veulent évoquer un sujet dont nous n’avons pas parlé. Cette question leur permet souvent d’aborder des sujets dont elles n’osent pas toujours parler, sur le plan sexuel par exemple, car elles se sentent écoutées.
L’utilisation des étriers gynécologiques est parfois considérée comme une forme d’humiliation et de violence imposée aux femmes. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que si la femme n’est pas à l’aise avec cette pratique, c’est important que le médecin puisse lui proposer une alternative. Il est possible d’examiner une femme en position chien de fusil par exemple. Lui proposer de venir en jupe ou lui poser un drap sur les genoux peut aussi être une option pour réussir à la mettre le plus à l’aise possible avec cet examen intime.
Est-ce que la « zone grise » (nb : situation dans laquelle le non consentement d’une personne à un acte sexuel n’est pas explicite. Cela est dû au fait que la culture ambiante considère que toute personne est consentante par défaut) est quelque chose que vous retrouvez chez vos patientes ?
Il arrive souvent que les femmes ne sachent pas comment qualifier ce qu’elles ont subies. Elles hésitent même souvent à employer le terme de « violence » si au début d’un acte elles étaient consentantes par exemple, et qu’elles ne le sont plus au milieu des préliminaires, ou qu’elles finissent par accepter un rapport suite à l’insistance de leur partenaire. Il m’est déjà arrivé de dire moi-même à des patientes qui disaient qu’elles l’avaient « un peu cherché » qu’elles avaient subi des violences.
Pour conclure : un message que vous voudriez faire passer aux femmes ?
Je voudrais rappeler qu’on n’est pas obligé d’examiner les femmes à chaque consultation de gynécologique. Beaucoup de femmes ne viennent pas nous consulter car elles craignent cet examen, mais il faut savoir que l’on peut se rendre chez le gynécologue simplement pour échanger à propos du dépistage des maladies sexuellement transmissibles, de la contraception, de sa sexualité… Avant 25 ans, je n’examine pas les femmes qui ne se plaignent pas d’un problème particulier ! Souvent, cela ne sert à rien. Je pense que c’est important de le dire pour rassurer les jeunes femmes. Après 25 ans, il est nécessaire de faire un frottis et la palpations des seins régulièrement, mais toujours avec le consentement de la patiente.
Propos recueillis par Mandine Pichon-Paulard