Photo : En octobre 2010, 20 000 femmes ont manifesté à Bukavu, au Sud-Kivu, pour dénoncer le viol. PHOTO : AFP / GWENN DUBOURTHOUMIEU

Avertissement : cet article peut éveiller des souvenirs douloureux. TW Viol.

Récemment, le viol de guerre a connu une forte médiatisation à travers deux événements internationaux contemporains. Le premier, la guerre en ex-Yougoslavie (1991-2001) dont la pratique des viols durant ce conflit est systématique et ne peut se comprendre comme un simple dommage collatéral. Le second, l’attribution du prix Nobel de la paix en 2018 à Denis Mukwege et à Nadia Murad, respectivement gynécologue-obstétricien qui répare les femmes congolaises ayant subit des sévices sexuels et ancienne esclave sexuelle Yazidie aux mains de l’État Islamique qui milite pour les droits fondamentaux pour son peuple avec le relai de l’ONU. 

Comment le viol de guerre peut-il devenir une arme ?

L’appellation « viol de guerre » regroupe l’ensemble des atteintes sexuelles – agressions sexuelles, viols, prostitution forcée ou encore esclavage sexuel – commises en période de conflit ou de guerre sur la population civile – hommes, femmes, enfants. 

On parle de « viol comme arme de guerre » lorsque le viol de guerre est planifié par une autorité politico-militaire. Il est utilisé de manière stratégique par au moins une des parties du conflit pour humilier et détruire son adversaire à travers la stigmatisation des victimes et les répercussions qui y sont liées.

Les viols de guerre sont des viols de masse, collectifs et multiples. Les victimes sont très nombreuses, elles sont violées par plusieurs personnes et à plusieurs reprises. Ces viols sont fréquemment publics. Par exemple, ils peuvent être commis devant les autres membres de la famille dans le domicile familial. Ils peuvent aussi se dérouler en place publique. Si le viol a lieu dans un cadre privé (tel est le cas des centres de détention), les violeurs feront en sorte que la population locale soit au courant. 

Dans quels pays le viol comme arme de guerre a-t-il lieu actuellement ?

Le viol comme arme de guerre est un véritable fléau. On le retrouve au centre de la Révolution libyenne et syrienne de 2011 par exemple. Plus globalement, cette pratique est courante dans les conflits en Libye, en Bosnie, au Burundi, en République Démocratique du Congo, au Rwanda, au Kenya, et en Ouganda.

Pourquoi le viol, à l’image de la bombe ou de la Kalashnikov, peut-il devenir une arme redoutable dans les conflits ?

Comme l’explique la sociologue Raphaëlle Branche, à travers la femme ou l’homme violé.e, c’est la communauté que l’on attaque. Les victimes de viols sont stigmatisé.e.s et marginalisé.e.s. Ces viols ont donc pour but, à terme, de conquérir des territoires et de s’approprier les ressources à la suite de l’exode du délitement des communautés et de l’exode des populations vers les villes.

Le plus souvent, les femmes violées sont contraintes de quitter leur famille sachant par avance le sort qui leur est réservé.

Lorsqu’elles réintègrent le foyer familial, elles sont dans la très grande majorité des cas déconsidérées, injuriées, humiliées et vivent en marge des autres membres de la famille. Par exemple, elles n’ont plus le droit à la parole ou ne sont plus dignes de participer à des activités collectives comme préparer le repas ou participer aux récoltes alors que ce sont justement ces activités qui leur confèrent une place et les intègrent dans le cercle familial. Dans les cas les plus graves, elles sont assassinées ou poussées au suicide par des proches qui ne supportent pas l’affront et l’opprobre que le viol jette sur leur famille. En effet, ce sont des pays où les femmes victimes de viols en sont désignées comme les responsables et coupables ; la virginité des femmes avant le mariage est sacrée et dans le cas où elles sont déjà mariées, le viol constitue une rupture dans le contrat de fidélité. Il est alors perçu comme une atteinte à la dignité et à l’honneur des maris.

Les enfants nés de ces viols sont souvent abandonnés, rejetés ou même maltraités. Ils peuvent être laissés à des milices et deviennent des enfants-soldats. Tout comme les femmes, les hommes violés, touchés dans leur dignité et humiliés, se retirent de la place publique et s’isolent.

Quelles recommandations culturelles sur ce sujet ?

  1. Des documentaires

Le documentaire « Lybie, anatomie d’un crime » de Cécile Allegra, 2018 :


Pourquoi le voir ? Il traite d’un sujet encore très tabou et très peu médiatisé : le viol des hommes. Avec des témoignages rarissimes de victimes, ce documentaire révèle le système de viols de masse en Lybie qui cible les hommes.

Il est produit par Arte et réalisé par Cécile Allegra. Cette dernière a notamment fait un documentaire sur la déportation des Érythréens dans la région du Sinaï pour lequel elle a reçut le prix Albert-Londres en 2015. Céline Bardet, juriste internationale spécialisée sur les crimes de guerre a aussi collaboré avec elle dans ce documentaire. 

Le documentaire a été plusieurs fois primé. 

On peut le visionner à partir de 2,99€ sur la boutique Arte  : 

https://boutique.arte.tv/detail/libye_anatomie_d_un_crime

– Le documentaire de Manon Loizeau, « Syrie, le cri étouffé », 2017 :

Réalisé par Manon Loizeau avec la participation de France télévision, ce documentaire donne la parole aux femmes syriennes violées par l’armée de Bachar al-Asaad pendant la révolution de 2011. Il montre en quoi ces viols systématiques sont organisés et réfléchis pour briser la dynamique de révolte. 

Documentaire que l’on peut visionner gratuitement sur YouTube en cliquant ici : https://www.youtube.com/watch?v=djqLnSaAR6w

– Le documentaire de Valérie Gaget et Philippe Jasselin, « Viol : le dernier tabou de la guerre d’Algérie », 2001 :


Le viol est certainement l’exaction commise par l’armée française durant la guerre d’Algérie la plus tue, la plus cachée, la plus taboue. Quarante ans après, la parole se libère. Ce documentaire donne la parole aux femmes violées, mais aussi à Henri Pouillot, soldat français qui témoigne des exactions commises par l’armée et Mohamed Garne, enfant né d’une algérienne violée par des soldats français et qui demande réparation à l’Etat. Ce documentaire met en lumière les logiques qui ont conduit à ce que ces viols deviennent massifs et soient restés aussi longtemps murés dans le silence.

Documentaire que l’on peut visionner gratuitement sur YouTube en cliquant ici : https://www.youtube.com/watch?v=1MltNlRfbsQ

  1. Des travaux académiques

Sur des guerres précises : 

  • Raphaëlle Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, 2002
  • Louis Guinamard, Survivantes. Femmes violées dans la guerre en République démocratique du Congo, 2010.

Nous vous invitons à lire ces articles disponibles sur le Cairn. Les sociologues expliquent avec brio comment le corps des femmes peut devenir des territoires de guerre. 

Dans un contexte de guerre plus large :

Nous vous recommandons les écrits de Raphaëlle Branche et de Fargnoli Vanessa. Ils sont extrêmement utiles pour comprendre les rouages et les logiques qui se cachent derrière la pratique du viol comme arme de guerre. On pense notamment à :

  • Fargnoli Vanessa, Viol(s) comme arme de guerre, Paris, L’Harmattan, 2012.
  • Raphaëlle Branche et Virgili, Fabrice (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2012.
  1. Des récits testimoniaux
  • Nadia Murad, Pour que je sois la dernière, 2018

On ne peut que vous conseiller chaudement de lire le témoignage de Nadia Murad, Pour que je sois la dernière, préfacé par l’avocate engagée Amal Clooney. Dans ce livre, Nadia Murad raconte son histoire, celle d’une jeune femme capturée par les djihadistes dans son village en 2014, vendue à Mossoul comme esclave sexuelle puis qui réussi à s’échapper grâce à l’aide d’une famille irakienne sunnite. 

  • Collectif, Le viol, une arme de terreur. Dans le sillage du combat du docteur Mukwege., 2015

C’est un ouvrage collectif qui analyse les viols au Kivu, la reconstruction des femmes et des communautés après le viol et les moyens d’inverser la tendance : justice, protection des victimes, information et résistance. Sa lecture permet de comprendre l’histoire de cette stratégie de guerre, mais aussi les enjeux économiques qui se cachent derrière.