Le 28 décembre dernier le député LREM de l’Ille-et-Vilaine Mustapha Laabid a déposé une proposition de loi « visant à traiter de manière spécifique la prostitution des mineurs ». La proposition de loi estime qu’il y a entre 5 000 et 8 000 mineurs (filles et garçons) ayant recours à la prostitution et 40 000 prostitués adultes ayant commencé dans leur minorité. Ces chiffres sont soumis au débat car ils ne peuvent être parfaitement vérifiés, la prostitution des mineurs étant taboue, diffuse et multiforme.
La proposition de loi s’emploie à deux buts : adapter la législation aux spécificités et lutter contre un déni collectif. |
Le témoignage de Caroline, habitant dans le XVIIème arrondissement de Paris « L’année dernière, j’ai fait une fellation et pratiqué la sodomie avec deux garçons pour avoir un téléphone. J’avais 13 ans. » recueilli par le journaliste Nicolas Basse en 2015 ou encore le reportage « Jeunesse à vendre » diffusé en avril 2018 sur France 5 montrent la réalité hétéroclite de la prostitution des mineurs. Contrairement à l’image que peut se faire l’inconscient collectif de la prostitution des mineurs, le recours à celle-ci ne touche pas exclusivement des mineurs non accompagnés et issus de la traite d’êtres humains. Les dynamiques se diversifient et s’intensifient notamment par le biais d’internet. Elles sont la conséquence de l’accès à la pornographie, d’un désir d’accès à l’autonomie financière ou encore d’une représentation de plus en plus « glamour » de certaines formes de prostitutions : il y a urgence.
L’état des lieux proposé ici repose sur le rapport de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE) de 2018 et des motifs exposés dans la proposition de loi.
Des formes diverses de prostitution
Tout d’abord, il est important de distinguer la pluralité des formes de prostitution et de proxénétisme touchant particulièrement les mineurs. Si l’analyse traditionnelle s’appuie sur la précarité financière, la traite d’être humain ou encore de dépendance à la drogue, la réalité est beaucoup plus complexe. Les modes de prostitutions recouvrent une série de phénomènes : les micro-réseaux, les « loverboys », les « michtonnages » et les pratiques occasionnelles.
“L’âge des victimes varient entre 14 et 18 ans, voire dès la 5ème”
La prostitution de mineurs a souvent pour particularité de ne pas répondre au schéma classique de grands réseaux de proxénétisme mais de rester dans un cercle restreint où la victime est recrutée par des connaissances voire des amies elles-mêmes prostituées. Les proxénètes ont souvent un âge proche des mineurs facilitant le chantage affectif, l’abus de confiance et la manipulation dont ils font preuve pour empêcher les victimes de quitter les réseaux. L’âge des victimes varient entre 14 et 18 ans, voire dès la 5ème comme l’indique l’ACPE. Ce jeune âge les rend vulnérables, influençables et en position de faiblesse pour refuser ou partir. Ces microréseaux organisent les passes (recrutement, mise en relation avec les clients, fournir les préservatifs, réserver la chambre d’hôtel…), empochent la grande majorité des gains et, surtout, imposent un rythme effréné :
« Des victimes témoignent que, dès leur premier jour, elles ont reçu plusieurs clients, alors qu’elles étaient encore vierges le matin même. Selon les jours, elles peuvent recevoir jusqu’à 10 ou 15 clients » selon l’ACPE.
Un autre type de proxénétisme propre aux mineurs est celui des « loverboys », c’est-à-dire, des jeunes hommes profitant de l’ambiguïté de leur relation avec la victime pour les pousser à se prostituer. Ils ciblent souvent des mineurs vulnérables à la fois sur les réseaux sociaux que devant des lieux où ils savent qu’ils les rencontreront. Le propre du « loverboy » est de se montrer irréprochable auprès des parents de la victime et de cette dernière, attentionné, séducteur et protecteur, il conserve ainsi l’attachement de la victime et donc son emprise.
“Le mineur n’a pas conscience d’avoir recours à de la prostitution”
Contrairement à ces deux modes de prostitution, le « michtonnage » relève d’une forme ambivalente de prostitution ou de pré-prostitution. Les mineurs entretiennent des rapports romantiques et/ou sexuels avec des individus plus âgés en échange de compensation matérielle ou financière. Ici, il n’y a donc pas de « prix » à la passe mais un contrat implicite voire inconscient où la relation amoureuse et sexuelle n’a pour but que le gain matériel et financier. La différence majeure est que le prostitué pense être en position de dominant et de profiter de la relation, le mineur n’a pas conscience d’avoir recours à de la prostitution, parallèlement l’amant ne pense pas être client d’un prostitué. De plus, ce mode de prostitution bénéficie d’une image chic et moteur d’ascension sociale.
De même, la prostitution occasionnelle s’effectue en marge des réseaux. Il s’agit d’actes de prostitution uniques ou peu répétés. Les chercheurs Vincent Joseph et Adrienne O’Deyé la définissent comme : « pratiquée dans l’urgence, en échange d’un hébergement, d’un repas, d’un réconfort contre l’isolement social, par recherche d’un «plus» (achats, sorties, loisirs, etc.) ou par dépendance (drogue)». Par exemple, la prostitution dans les collèges en échange de quelques euros ou d’un téléphone fait partie de ce mode informel de prostitution. De même, le psycho-sociologue Hamou Hasnaoui insiste sur la vulnérabilité des personnes éprouvant des difficultés face à leur orientation sexuelle :
« difficultés importantes d’orientation sexuelle ou [vivant] une identité́ homosexuelle de façon très problématique, cela peut avoir une incidence sur l’aggravation du risque prostitutionnel et par conséquent sur leur parcours d’insertion ».
Nous voyons ici la difficulté d’identifier, de quantifier et de prévenir ces modes de prostitution. C’est pourquoi, en plus de protéger les mineurs par la loi, il est urgent de développer la prévention et la sensibilisation à la fois auprès des jeunes mais aussi des parents et de lutter contre la banalisation de la prostitution comme simple moyen d’« argent facile ». Notons que les conséquences de la prostitution sont dévastatrices : décrochage scolaire, désinsertion sociale ou encore des troubles sensitifs. Ces effets sont explicités par Judith Trinquart, où la pratique prostitutionnelle s’accompagne d’une instrumentalisation extrême du corps et d’un abandon du soin de son corps et de sa santé. Dans la même perspective, la prostitution peut mener au développement d’un stress post-traumatique où la personne cherchera à provoquer volontairement des pics de stress pour sécréter des hormones responsables de l’anesthésie émotionnelle et donc rechercher la mise en danger de soi et d’autrui.
Protéger les mineurs doit être une priorité absolue.
Un cas particulier : la traite d’êtres humains
La majorité des mineurs étrangers ayant recours à la prostitution sont victimes de la traite d’êtres humains. Notons, que concernant les majeurs, les prostitués étrangers sont sur-représentés, avec près de 80% et en provenance de pays dits en développement. Souvent ce sont des mineurs en situation d’isolement et de grande précarité en vue de la difficulté de prendre en charge tous les mineurs. L’UNICEF France a publié en 2016 un rapport, Ni sains ni saufs, une enquête sociologique sur les enfants non accompagnés sur le littoral du Nord et de la Manche, dans les bidonvilles de migrants :
« Les premières craintes exprimées dans les entretiens sont les violences exercées par les forces de police, les milices de civils et les passeurs ainsi que les agressions sexuelles pour les filles et les garçons. Plusieurs éléments recueillis au cours de l’enquête mettent en évidence des situations qui relèvent de la traite des êtres humains. ».
Ce constat s’accompagne du très récent rapport (janvier 2019) de l’ONU (ONUDC, Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) sur l’impunité de ces pratiques due à une forte mobilité des acteurs et à un nombre important de réseaux. Cette violence cible particulièrement les femmes, environ 70%, et sur l’ensemble, environ 23% de mineurs. Environ 59% de la traite d’êtres humains se fait à fins d’exploitation sexuelle.
La mise en place de structures d’accueil spécifiques est donc essentielle pour lutter efficacement contre l’exploitation des mineurs. Notons que l’ONU ne reconnaît aucune forme de proxénétisme « consenti » conformément à l’Article premier de la Convention pour la répression de la traite d’êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949) ratifié par la France en 1960.
Les défaillances du système français : la proposition de loi
La législation française dispose d’un cadre juridique spécifique contre la prostitution des mineurs conformément à l’Article 13 de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale :
« La prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. » et « Tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative. ».
Ainsi, les mineurs ayant recours à la prostitution ont un statut de victimes et la loi nie le possible consentement des mineurs.
« La non pertinence des notions telles que celles du consentement et de la « majorité sexuelle »
Pourtant, malgré la clarté de cet article, la législation actuelle reconnaît tacitement la possibilité de consentement des mineurs et une « majorité sexuelle » à partir de quinze ans. En effet, l’Article 225-12-1 du Code Pénal prévoit trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour avoir recours à la prostitution de mineurs ou autres personnes dites vulnérables, cette peine est portée à cinq ans et 75 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes telles que l’abus d’autorité ou encore d’être entré en contact par le biais de réseaux de communication et est portée à sept ans et 100 000 euros d’amende si le mineur a moins de quinze ans.
La législation ne peut reconnaître de tels principes en matière de prostitution des mineurs A ce titre, la proposition de loi dénonce :
« la non pertinence des notions telles que celles du consentement et de la « majorité sexuelle » lorsqu’il s’agit de prostitution des mineurs ».
L’article 2 et 3 de la proposition de loi propose de relever ses peines, qu’il faudrait aligner à celles d’atteinte sexuelle sur mineur.
De même, la lutte contre la prostitution en ligne (article 5 de la proposition de loi) doit être clarifiée, notamment la loi du 21 juin 2004 dite « loi de confiance dans l’économie numérique » doit être amendée pour renforcer la responsabilité des sites hébergeant des annonces de prostitution de mineurs à l’instar du procès du site Vivastreet.
“Absence de considération de la gravité des faits”
L’autre pendant de la lutte contre la prostitution de mineurs est la prévention. Il s’agit d’un volet essentiel et pourtant trop ignoré. La proposition de loi insiste sur deux volets. D’une part, renforcer la prévention et la sensibilisation dans les établissements secondaires, le Défenseur des droits estimait en 2017 que :
« Parmi les établissements ayant répondu [à l’enquête réalisée par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes en 2014-2015 auprès de 3 000 établissements scolaires], 25 % ont déclaré ne pas mettre en œuvre d’actions d’éducation à la sexualité, seulement 55 % des écoles ayant mis en place des actions d’éducation à la sexualité les ont intégrées à des enseignements disciplinaires et 64 % n’ont pas articulé cette éducation à la sexualité avec les actions de promotion de l’égalité entre les filles et les garçons. ».
Il est impératif de renforcer ces campagnes de prévention prévues par l’article 18 de la loi du 13 avril 2016. De plus, la proposition de loi rappelle la nécessité de doter tous les départements d’une commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme, et la traite d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Aujourd’hui seule la moitié des départements en dispose. La coordination des acteurs locaux et une harmonisation des procédures (par exemple, éviter de recommander une simple main courante) doivent être des priorités (article 6 de la proposition de loi). Enfin, la prévention passe par une meilleure appréciation des « retours de fugue » (article 7 de la proposition de loi) pouvant être un signe annonciateur de recours à la prostitution.
L’ACPE donne un exemple de défaillance des autorités et insiste sur la formation nécessaire des agents :
« L’ACPE a accompagné en 2017 une mère et sa fille dans un commissariat afin de porter plainte pour deux chefs d’accusation liés à la prostitution de mineur. L’agent de police qui les a reçues a d’abord expliqué que la jeune fille, âgée de 16 ans, avait atteint la majorité sexuelle et qu’elle avait le droit de se livrer à la prostitution si elle était consentante. À force d’insister, l’agent de police s’en est remis à l’officier de police judiciaire. Ce dernier n’a pas souhaité́ recevoir la mère et sa fille. Au téléphone du standard, le représentant de l’ACPE a dialogué avec l’officier afin de le convaincre – articles du Code pénal à l’appui – que les faits reprochés constituaient véritablement une infraction. Malgré́ les éléments de droit évoqués lors de cette conversation, l’officier a toujours refusé de les recevoir et les a réorientés vers la brigade de protection des mineurs. La brigade de protection des mineurs n’a pas non plus souhaité enregistrer la plainte, et a encouragé à déposer une main-courante. ».
Ici se croisent trois problèmes précédemment évoqués : un manque de cohérence juridique sur le traitement des mineurs avec la notion de « majorité sexuelle », l’absence de considération de la gravité des faits par l’ambiguïté sur le consentement de la prostitution et enfin, l’harmonisation nécessaire des procédures.
La proposition de loi permet également d’ouvrir le débat sur la prostitution et sa définition en France (article 1 de la proposition de loi). La qualification juridique (et fiscal) de la prostitution doit être clarifiée pour mieux protéger les prostitués et travailleurs du sexe. De plus, la lutte contre la traite d’êtres humains doit être renforcée en alignant les peines à l’encontre de mineurs et de majeurs (article 4 de la proposition de loi).
Les recommandations
La proposition de loi ouvre de nombreux champs d’action et de lutte contre la prostitution des mineurs Tout d’abord, il est urgent que la prostitution des mineurs soit considérée comme un viol, une victime « consentante » étant un pur non-sens. Avoir recours à la prostitution de mineurs ne peut être considéré à la hauteur d’un vol, l’article 311-3 du Code Pénal dispose que le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Au-delà de l’incohérence juridique, le message préventif perd de sa portée. Comment insister sur la gravité de la prostitution si le cadre légal ne l’atteste pas ? C’est pourquoi la prévention et la sensibilisation doivent se faire à la fois auprès des adolescents susceptibles de se prostituer mais aussi auprès des parents, potentiels clients et proxénètes. L’ensemble des acteurs doit avoir conscience de la portée de leurs actes. L’ACPE insiste donc sur la prise en charge des parents au même titre que les mineurs.
De plus, la dimension genrée de la domination masculine ne peut être ignorée. Lutter contre la prostitution des mineurs ne peut être efficace sans une lutte contre les stéréotypes de genre, contre les violences sexuelles et de dévalorisation du corps féminin dans les représentations culturelles et pornographiques. La dé-sanctuarisation du corps est l’une des premières causes de l’entrée dans la prostitution. La prévention contre la prostitution va de pair avec une éducation qui promeut l’égalité des genres et le respect du corps d’autrui. Ce qui implique à la fois le système éducatif de la République, la représentation des genres et des pratiques sexuelles dans les contenus culturels et de divertissement, mais surtout l’implication des parents.
Pour conclure, le problème de la prostitution des mineurs est urgent. C’est une priorité à la fois pour protéger les mineurs mais aussi pour la construction d’une société plus égalitaire. Des organismes spécifiques et de coopération interministérielle doivent être mis en place face à cet impératif. Cette proposition de loi est l’occasion de renforcer la loi et la prévention mais aussi d’alerter sur une question où nous avons toutes et tous une responsabilité.
Eve Albergel