Les récents scandales de harcèlement et de sexisme qui ont touché plusieurs compagnies de la Silicon Valley, au premier rang desquelles la compagnie de transports Uber, ont mis en exergue la non-immunité du milieu des nouvelles technologies aux problématiques des inégalités entre les femmes et les hommes au sein des entreprises.
Dans le cadre de notre réflexion sur ces sujets, nous avons rencontré Elisabeth Bargès, Head of Public Policy chez Google France, engagée dans la lutte contre ces inégalités.
- Des opportunités minées par une conception dépassée du milieu
Le numérique est rattaché à une image essentiellement masculine. La représentation sociale et culturelle des geeks, des nerds, des fous de technologie, des ingénieurs et des matheux ne laisse pas vraiment de place aux femmes. Elles y sont moins bien payées que les hommes, et perçues comme moins employables. Pourtant, les exemples ne manquent pas d’investissement des femmes dans ce milieu lorsque les représentations qui en sont faites ne sont pas stéréotypées. C’est le cas en Malaisie, où les métiers de l’informatique et des nouvelles technologies comptent 65 % de femmes. Pour Elisabeth Bargès, c’est en partie dû à l’image du métier dans ce pays, qui n’y est pas connoté négativement pour des femmes.
En France, on considère que le secteur du numérique aura été créateur de 200 000 emplois entre 2012 et 2020, une mine d’opportunités pour déconstruire ces codes et faire valoir toutes les facettes du digital, de la conception technique aux postes de relations humaines et de transformation des entreprises.
Des politiques publiques peuvent et doivent être mises en place pour renverser cette situation. Il y a en France un déficit flagrant de communication, qui se traduit par un retard au niveau des formations proposées dans les universités, qui ne répondent pas aux besoins à venir. L’Etat doit relancer des campagnes de sensibilisation et d’information, mettre en avant des role models féminins engagés dans ce secteur et insister sur les besoins en soft skills.
C’est une problématique qui dépasse toutefois le seul milieu du numérique : celle de la représentation des femmes dans la société, dans l’histoire, dans la politique et dans l’économie. Elle doit être entreprise de manière globale, en mettant en avant les femmes qui réussissent, non seulement dans le milieu des nouvelles technologies, mais également pour chaque secteur de la société.
- Le numérique comme outil de la lutte contre les inégalités
Nous n’apprendrons rien à personne en rappelant que le développement d’Internet a permis une augmentation massive des flux d’information. Il est néanmoins nécessaire de ne pas en perdre le contrôle.
Beaucoup d’associations œuvrent pour l’égalité femmes-hommes sur les réseaux sociaux, ou à l’aide de plateformes présentes en ligne, mais on observe que les sites réactionnaires, voire de désinformation, comme cela a pu être le cas pour l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), semblent avoir un meilleur accès aux techniques permettant d’apparaître en haut des résultats de recherche ou dans les réseaux sociaux.
Il faut proposer des formations numériques aux sites neutres et aux associations œuvrant pour l’égalité afin qu’ils soient en mesure de les concurrencer et de bénéficier d’un meilleur référencement. Cette mesure a l’avantage d’être peu coûteuse et de proposer le concours des entreprises privées.
Le numérique présente également des risques de cyber-sexisme et de cyber-harcèlement. Sur Youtube, par exemple, les femmes sont beaucoup plus insultées que les hommes, mais la répression est difficile sur Internet. Les acteurs privés peuvent mettre en place des initiatives de promotion, ce qui a été fait sur la plateforme de vidéo avec le hashtag #EllesFontYoutube, ou par des campagnes de prévention, mais ils n’ont pas toujours la légitimité pour faire justice en comparaison avec les pouvoirs publics. Il est donc nécessaire de développer de la pédagogie sur ces sujets.
- Un milieu progressiste qui doit donner l’exemple
Le secteur du numérique jouit d’une image moderne, mais il reste composé d’entreprises comme les autres, sujettes aux mêmes inégalités que dans des milieux plus traditionnels. Toutefois, fort de cette image et d’une sensibilisation plus forte au progrès, des initiatives innovantes y ont vu le jour, et peuvent peu à peu inspirer le reste de la société.
Pour faciliter la professionnalisation des femmes, des structures de garde des enfants ont été développées à proximité de nombreux incubateurs d’entreprises, offrant plus d’opportunités pour l’entrepreneuriat féminin. La possibilité de venir aux formations avec des enfants, comme c’est le cas dans le modèle scandinave, agit comme un levier. Enfin, le congé paternité doit être développé et rendu obligatoire pour ne pas être réservé qu’aux plus aisés. Ainsi, l’entrepreneuriat ne sera plus une alternative à la prise en charge d’une famille et une partie des freins à l’investissement des femmes dans ces entreprises seront déverrouillés.
Le secteur du numérique devrait montrer l’exemple sur ce sujet, en utilisant son image pour entraîner les autres acteurs derrière lui, parce qu’il offre une révolution dans le management et l’implication des salariés. Dans la Sillicon Valley, par exemple, Google propose un mois de congé paternité aux jeunes pères.
Malgré cette impression de mieux, il reste en réalité assez stéréotypé. Les femmes récoltent ainsi généralement moins d’argent lors des levées de fonds pour les startups, regrette Elisabeth Bargès.
Il faut trouver un équilibre entre les actions du privé et de l’Etat, en particulier pour la question de la coercition. L’élection présidentielle de 2017 a été extrêmement décevante sur ces questions, avec un discours politique trop large et pas assez direct sur le sujet.
A l’heure où le numérique transforme chaque jour d’avantage notre société, de l’entreprise à l’administration en passant par l’éducation ou la politique, il est donc plus que jamais nécessaire de l’entreprendre comme un enjeu réel pour la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, afin de s’assurer qu’il ne soit pas un frein renforçant les blocages, mais au contraire un levier pour l’égalité.
Jean-baptiste Manenti pour Politiqu’elles