Politiqu’elles a organisé le 17 février à Sciences Po la projection du documentaire « Les Filles de la Marine », suivie d’une discussion-débat sur la place des femmes dans les différents partis de France. Cette discussion fut notamment l’occasion d’échanger et de poser des questions à Christine Samandel, présidente de l’UDI Sciences Po, Mathilde Androuet, ex-candidate Front national aux municipales de 2014 à Houilles et ancienne de Sciences Po, ainsi que Guillaume Henault et Clothilde Mraffko, deux des quatre réalisateurs du film. Ces derniers ont tenté, à travers leur documentaire, d’expliquer pourquoi de plus en plus de jeunes femmes s’engagent aujourd’hui dans un parti longtemps représenté par des hommes souvent âgés et machistes. Aujourd’hui, l’imaginaire très ‘viril’ et anti-féministe du Front national a été éclipsé du devant de la scène par l’éclatante jeunesse des troupes de militant-e-s entourant Marine Le Pen à la fin de chacune de ses interventions publiques. Stratégie politique, embrigadement, affinité partisane : comment expliquer l’engagement des jeunes femmes au Front national ? Les réalisateurs sont allés à la rencontre de quatre jeunes « filles de la Marine », issues de régions et de milieux différents, durant la campagne des municipales de 2014. Qu’elles soient militantes ou candidates, leur action au FN va bien au delà de la sympathie idéologique.
La féminisation des chefs de file du Front national n’est pas sans influence sur l’engagement croissant des femmes. Souvent en quête de role models, ces jeunes militantes trouvent au Front national ce qui n’existe pas dans les partis traditionnels : des femmes puissantes et charismatiques mais aussi proches du peuples, auxquelles il est possible de s’identifier. Marine Le Pen, et dans une moindre mesure Marion Maréchal Le Pen incarnent un modèle de la femme moderne et suscitent par conséquent une admiration sans faille de la part des jeunes arrivantes.
Cet engagement de plus en plus important des jeunes et des femmes construisant un parti en plein renouvellement s’explique par les opportunités de responsabilités comme de carrières : le FN manque de cadres formés et donne rapidement et facilement des responsabilités aux nouveaux arrivés. Ilona, très motivée, se retrouve ainsi chef de la région d’Orange à 17 ans. Nejma, mère au foyer à Nantes explique que militer au FN lui permet de trouver sa place dans la société : se sentir utile, être reconnue, tisser des liens sociaux… – le parti est pour elle une vraie « famille ».
Les ressorts idéologiques de l’engagement féminin au FN sont moins évidents, car les différentes lignes du Front national permettent d’attirer des jeunes aux convictions diverses. Laissant de côté l’aspect vieillissant de Jean Marie Le Pen et de son entourage, les jeunes se tournent alternativement vers Florian Philippot, Marine Le Pen qui joue sur différents tableaux en évitant de s’exprimer clairement sur les sujets clivants comme le mariage pour tous, et Marion Maréchal Le Pen, à la ligne plus conservatrice et chrétienne-traditionaliste. La préférence nationale reste néanmoins partagée par tous.
En définitive, le documentaire met en relief la forte intégration des jeunes femmes dans ce parti inscrit dans une dynamique de renouvellement. Elles y trouvent des figures d’identification et des exemples de succès, et ont rapidement la sensation d’être utile en occupant un poste de responsabilité. Cependant, le FN est loin d’avoir un programme clair concernant les droits des femmes. La discussion avec Mathilde Androuet a permis d’aborder ce point sensible.
L’ex candidate aux municipales de Houilles insiste sur l’absence de discrimination hommes/femmes au sein du Front national : elle n’aurait jamais eu à faire ses preuves plus qu’un homme. Fondamentalement méritocrate, elle est opposée à la discrimination positive des quotas qui permettent cependant, comme le souligne Christine Samandel, de faire émerger des profils féminins au fort potentiel qui n’auraient jamais tenté l’expérience politique si personne n’était venu les chercher. Au plan des droits des femmes, Mathilde Androuet insiste bien évidemment et conformément à la ligne de son parti, sur la sécurité des femmes : le viol ou le harcèlement de rue, mais occulte d’autres sujets tels que les inégalités salariales, le harcèlement au travail, le plafond de verre, les inégalités domestiques… alors même qu’une militante du parti se dit – dans le documentaire – « contre l’avortement quand il est utilisé comme moyen de contraception ». Concernant les dérapages de vieux cadres du parti selon lesquels les femmes doivent rester à la maison, Mathilde Androuet rappelle que si ces propos sont en total décalage avec la réalité (les femmes faisant pour certaines de très belles carrière au FN), être mère au foyer n’est pas une mauvaise chose pour un parti qui se bat « pour la famille ».
Quand on lui demande si être une femme lui a parfois valu des regards différents au cours de sa trajectoire politique, Mathilde Androuet répond que pour elle, une femme est « un homme comme un autre ». Elle se défend de ne voir la politique qu’à travers le prisme de son sexe. Cependant, elle admet finalement qu’être une femme, jeune et diplômée de Sciences Po a sans doute joué dans son sens lorsqu’elle allait à la rencontre des Ovillois : son profil suscite l’étonnement. Elle avoue volontiers que les choses ont changé depuis sa sortie de Sciences Po, en 2006 : avoir une section FN dans les murs de l’école aurait été impensable à l’époque tant l’aversion pour le parti était grande. Aujourd’hui, le FN Sciences Po existe bel et bien mais sur son organigramme, dont les membres se comptent sur les doigts d’une main, ne figure aucune femme. Pour Mathilde Androuet, il ne s’agit que d’une question de temps. Le Front National a entamé un profond travail de renouvellement, attire désormais les jeunes et permet aux femmes de s’imposer : pour elle, il n’a rien à envier aux autres partis vieillissants. Evidemment, le role model effect rend plus accessible le parti : « Marine Le Pen a un côté mère du peuple » n’hésite pas à affirmer la frontiste. Plus encore, ce qui distingue le Front national des autres partis selon elle, c’est qu’il est une « machine à gagner » et « la pierre d’angle de la vie politico-médiatique ». En ce sens, le fait qu’il n’ait jamais gouverné peut être une force par rapport aux autres partis qui n’attirent plus les jeunes du fait de leurs échecs passés. L’UDI, dont Christine Samandel préside la section Sciences Po, est un parti assez « jeune et différent » mais où cependant l’égalité hommes/femmes est loin d’être acquise. Elle raconte avoir déjà fait l’objet de condescendance par des hommes moins expérimentés qu’elle, et regrette qu’on ne fasse pas assez confiance aux filles qui doivent avoir un caractère masculin pour s’imposer, et souffrent parfois du manque de reconnaissance.
Nul doute que sur la forme, l’expansion, la féminisation et le renouvellement du Front national sont des processus avérés et plutôt réussis, mais tant le documentaire que la discussion qui l’a suivi rappellent que sur le fond, le programme du Front National reste dominé par des valeurs traditionalistes et conservatrices qui ne vont pas dans le sens d’une émancipation complète des femmes.