A l’occasion de sa première conférence, la section dijonnaise de Politiqu’elles a reçu Maud Navarre le vendredi 4 décembre, sur le thème « Les femmes politiques face au plafond de verre ».
Docteure en sociologie aujourd’hui chercheuse, Maud Navarre a consacré sa thèse aux élues locales en Bourgogne et en a tiré un ouvrage, Devenir élue. Genre et carrière politique, disponible aux Presses Universitaires de Rennes. Cet ouvrage s’articule autour d’une question très concrète : comment devient-on élue ?
Maud Navarre a débuté sa conférence par une explication de ce qu’est le plafond de verre en politique, en France. Depuis la réforme constitutionnelle de 1999, l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives est consacré. Le début des années 2000 a également été marqué par les lois sur la parité, dont la première date du 6 juin 2000. La parité continue à être élargie de nos jours, comme l’a illustré l’imposition de binômes paritaires pour l’élection des conseillers départementaux en 2015. En théorie, l’accès des femmes à la vie politique est donc facilité. Mais celles-ci n’accèdent en réalité qu’aux échelons inférieurs de la politique et restent très minoritaires dans les plus hautes fonctions politiques. La France compte ainsi 40% de conseillères municipales mais seulement 16% de maires, ou 50% de conseillères départementales contre seulement 10% de présidentes de départements. C’est le plafond de verre.
Pour comprendre ce phénomène, Maud Navarre s’est appuyée sur quatre différentes sources. Elle a adressé un questionnaire à des élus de tous les échelons politiques en Bourgogne et obtenu 262 réponses dont 50% provenant d’élues. Elle a rencontré 40 élu-e-s au cours d’entretiens biographiques. Elle a observé les élections régionales de 2010 et les élections législatives de 2012. Enfin, elle a observé des réunions plénières en Bourgogne, de conseils municipaux, généraux et régionaux.
De cette observation, Maud Navarre dresse un constat. Les femmes semblent être, davantage que les hommes, des « étoiles filantes » en politique. Elles accèdent en moyenne à un mandat plus tard que les hommes, elles montrent une réelle volonté de bien faire et faute de reconnaissance, renoncent plus rapidement que les hommes à exercer un mandat. Cependant, dans la moitié des cas observés, le comportement des femmes et des hommes politiques est identique. Mais les différences entre élues et élus restent clairement perceptibles : les élues sont un peu plus âgées, 63% ayant plus de 60 ans contre 48% des hommes, mais aussi un peu plus qualifiées, elles sont davantage issues d’associations que de partis politiques ou de syndicats et les postes qu’elles occupent sont très genrés : elles sont ainsi majoritairement en charge des affaires sociales, des personnes âgées, de l’enfance… Ici, on ne parle de plafond de verre mais de parois de verre puisqu’à fonction politique égale, les femmes sont cantonnées dans certains domaines bien précis, considérés comme moins importants ou moins prestigieux que ceux alloués aux hommes.
Maud Navarre s’est ensuite penchée plus précisément sur le parcours des femmes élues, de la campagne électorale à la fin de leurs mandats. Les deux scrutins observés, régional et législatif, diffèrent de par leur mode de scrutin (scrutin de listes pour l’un et scrutin uninominal pour l’autre), mais montrent pourtant de grandes similitudes. Pour l’élection régionale de 2010, Maud Navarre constate que les têtes de liste sont très majoritairement des hommes (et la même tendance s’est observée en décembre 2015 avec 80% d’hommes en tête de liste). Elle montre également que les femmes les secondant sont souvent plus jeunes et moins expérimentées politiquement. En effet, ce sont les hommes qui incarnent l’expérience tandis que les femmes, elles, sont davantage présentes pour incarner une certaine image : celle du renouveau. De ce fait, ce sont surtout les hommes qui se retrouvent en scène au cours de la campagne et qui tiennent les ficelles en coulisse. De la même façon, lors des législatives de 2012, Maud Navarre constate que le choix d’une femme politique sert notamment à montrer le renouvellement du parti, ou bien à arbitrer les conflits au sein du parti lorsque plusieurs hommes politiques sont en compétition. Les femmes représentent donc avant tout une stratégie pour les partis, ce qui se vérifie à droite comme à gauche mais à tendance à être moins vrai dans les petits partis, où les répartitions sont souvent plus équitables.
Au cours de leur campagne et même de leur mandat, les femmes sont confrontées à divers obstacles allant du sexisme ordinaire, illustré par l’indifférence à leur candidature ou la drague de la part de certains candidats ou élus, à l’insulte sexiste en passant par le paternalisme, notamment de la part d’élus plus âgés restreignant les femmes, ou encore la dévalorisation. Tout cela a une conséquence bien réelle : les femmes ont le sentiment d’être moins compétentes que les hommes et se remettent davantage en cause que leurs collègues masculins. Cela est renforcé par le fait qu’on leur pardonne beaucoup moins la moindre erreur, ce qui influe directement sur l’exercice par les femmes de leur mandat. Les recherches de Maud Navarre ont montré que les élues se consacrent tout autant que les hommes à leurs mandats, que ce soit en termes de réunions, de cérémonies ou d’assemblées plénières. Mais elles prennent beaucoup moins souvent la parole en séance plénière. Elles l’obtiennent déjà difficilement, les tours de parole n’étant pas toujours respectées, et sont en plus souvent interrompues. Leurs collèges leur font remarquer le moindre lapsus, ce qui est moins le cas pour les hommes. Certains préjugés ont de plus la vie dure. On reproche ainsi davantage à une femme de délaisser sa vie familiale qu’à un homme. Les élues rencontrées par Maud Navarre ont globalement un entourage favorable à leur engagement, mais cela s’explique par le fait que celles n’ayant pas le soutien de leurs proches ne se présentent simplement pas, quand les hommes n’hésitent pas toujours à le faire.
Ainsi confrontées au sexisme lors de leur campagne et de leur mandat, les femmes sont presque une sur deux à envisager d’abandonner la politique après un mandat quand les trois quarts des hommes souhaitent au contraire poursuivre. Le manque de reconnaissance peut leur rendre la vie privée ou professionnelle plus attractive. De plus, en étant cantonnées aux échelons inférieurs de la politique, les femmes manquent de capacité d’action et trouvent moins d’intérêt à exercer un mandat, elles n’ont pas le sentiment d’être utiles. C’est notamment le cas des conseillères. Beaucoup décident tout de même de se maintenir en politique et certaines se professionnalisent alors. Maud Navarre a ainsi constaté que les femmes poursuivant leur engagement au-delà du premier mandat développent une plus grande polyvalence et parviennent à dépasser les parois de verre et à s’exprimer sur tous les thèmes. Elles peuvent toutefois revendiquer une manière différente de faire de la politique que les hommes, une manière plus proche des gens, plus à leur écoute. De manière générale, il leur reste difficile de trouver un équilibre entre deux modèles qu’elles cherchent à tout prix à éviter : ceux de la femme masculinisée ou de la femme potiche. Elles ne veulent pas être considérées comme des hommes « bis », mais elles doivent en même temps ne pas trop mettre leur féminité en avant si elles ne veulent pas être taxées de potiches.
L’intervention de Maud Navarre a donc mis en avant les difficultés toujours existantes auxquelles se confrontent les femmes en politique, tout en montrant qu’il était possible de les dépasser mais qu’il faut pour cela continuer à repousser le plafond de verre et les parois de verre. Devant une salle pratiquement comble, Maud Navarre a conclu cette conférence par une série d’échanges avec le public dans lequel se trouvaient notamment Nathalie Koenders et Sladana Zivkovic, respectivement Vice-Présidente et première adjointe déléguée à la démocratie locale et au personnel de Dijon et conseillère communautaire et adjointe aux relations internationales et extérieures de Dijon. Un débat qui a mis en exergue la complexité de la lutte contre le sexisme en politique et le plafond de verre, mais qui a aussi illustré la volonté des nombreuses personnes présentes de poursuivre leur engagement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Morgane GASSE