Le 14 mars 2016, Politiqu’elles organisait une rencontre avec son association sœur, Femmes & Diplomatie, pour un échange informel entre intervenantes et participants autour du thème « être femme et diplomate ».
La diplomatie est-elle un métier d’homme ? Comment concilier vie de famille et carrière internationale ? Comment faire carrière en tant que femme au Quai d’Orsay ? Quel rôle pour la diplomatie française dans la promotion des droits des femmes ? Une femme diplomate se verra-t-elle reprocher ses choix professionnels qui sacrifieraient une conception traditionnelle de la famille ?
Voilà les questions abordées lors de cet échange dynamique et instructif avec les cinq intervenantes membres du bureau de Femmes & Diplomatie :
Florence Caussé-Tissier, Conseillère des Affaires étrangères, actuellement chef de la mission des conventions et de l’entraide judiciaire.
Marie-Anne Courrian, Conseillère des affaires étrangères, actuellement chef de la mission de la protection des droits des personnes à la direction des français à l’étranger.
Claudia Delmas-Scherer, Conseillère des affaires étrangères, actuellement sous-directrice de la formation et des concours.
Sophie Lecoutre, Conseillère des affaires étrangères, actuellement en charge du Moyen-Orient au service des relations extérieures de l’UE.
Cécile Ondoa Abeng, Secrétaire des affaires étrangères depuis 2013, actuellement rédactrice Etats-Unis à la direction des Amériques et des Caraïbes.
Femmes & Diplomatie
Femmes & Diplomatie est l’association du Ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI) qui agit pour la parité au ministère depuis 2008. Toutes les femmes qui travaillent au ministère, soit à Paris ou en poste à l’étranger peuvent adhérer à l’association. Les hommes qui partagent les valeurs et la vision de Femmes & Diplomatie sont associés en tant qu’ « amis » de l’association.
Le bureau entend moderniser et adapter l’environnement de travail au ministère. Son action passe par des séances de coaching pour les adhérentes afin de faciliter notamment l’intégration des jeunes lauréates des concours. L’association a été à l’initiative pour l’élaboration de la charte du temps qui est aujourd’hui adoptée et qui permettra un travail efficace au sein des équipes tout en assurant un environnement de travail agréable et humain.
Les membres du bureau organisent aussi des rencontres et déjeuners avec leurs « amis », les adhérentes, des intervenants, et des associations sœurs afin d’échanger et de discuter des avancées de la parité au sein du ministère mais aussi dans la fonction publique française et le secteur privé.
La parité au ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI)
Étant donné la faible parité au ministère au début du XXème siècle, on note de grandes avancées, même si de nombreux progrès restent à faire.
En 1914, le ministère comptait seulement quelques dames dactylos. En 1928, le concours s’ouvre aux femmes et en 1945 les postes à l’étranger aussi.
En 1972, la France nomme sa première femme ambassadeur (au Panama).
En 1986, une femme prend ses fonctions à la tête d’une direction à Paris pour la première fois.
À la fin des années ’70, on compte 9% de femmes parmi les cadres, là où la moyenne nationale est de 30 %. À la catégorie B, on compte 30% de femmes là où la moyenne nationale était de 60%.
Aujourd’hui, les agents féminins représentent 52% des agents du ministère. Ce chiffre cache des écarts de parité selon les différentes catégories de fonctionnaires. Plus on monte en grade, moins les femmes sont représentées :
On compte 66% de femmes en catégorie C (au-dessus de la moyenne nationale de 50%) – la catégorie C comprend les fonctions de gestionnaires.
44% de femmes en catégorie B (ce qui correspond à la moyenne nationale) – la catégorie B correspond à des postes d’adjoints, rédacteurs.
32% de femmes en catégorie A (bien en dessous de la moyenne nationale à 60%, ou 42% en excluant le corps enseignant) – cette catégorie comprend les fonctions d’encadrement et de direction.
La politique du ministère reste volontariste et dynamique et obtient de bons résultats. La volonté pour une plus grande parité se fait surtout ressentir au niveau du recrutement (en mettant des femmes dans les jurys, par exemple), du respect des quotas prévus par la loi Sauvadet, et de l’égalité des salaires. L’impunité face au harcèlement ou toute autre forme de sexisme n’est aussi plus à l’ordre du jour. Les directeurs et sous-directeurs sont évalués en termes de management d’équipe et ces évaluations sont ensuite transmises au cabinet du ministre et peuvent servir à limiter la récurrence du sexisme au ministère.
Cependant, les chiffres ne disent pas tout et les quotas ne suffisent pas pour briser le plafond de verre : certaines directions du ministère semblent maintenir un caractère plus masculin et d’autres plus féminin, certains postes sont aussi rarement occupés par des femmes et la majorité des femmes fonctionnaires du ministère sont employées au sein de la catégorie C. À quand une ambassadrice de France aux Etats-Unis, ou à l’ONU, une directrice des affaires politiques?
Enfin, la mise en place de la politique volontariste du ministère dépend toujours du bon sens et de la volonté de ses agents qui se montrent encore parfois réticents, surtout quand en poste à l’étranger loin de la centrale.
Carrière diplomatique et vie de famille
La diplomatie fait l’objet de nombreux clichés : taux de divorce élevé, échec scolaire des enfants de diplomates, vie instable, mutations constantes, la conciliation entre carrière diplomatique et vie familiale semble difficile. Devenir diplomate reste un choix de vie et se fait en toute connaissance de cause, mais le ministère s’efforce d’accompagner ses fonctionnaires et leurs familles.
D’abord, certains mythes sur la diplomatie doivent être démentis : un diplomate n’est pas constamment muté à l’étranger : une mutation se fait tous les 3 ou 4 ans (de plus en plus tous les 4 ans) et peut se faire au sein du ministère à Paris, d’une direction à l’autre, sans départ forcé à l’étranger. De plus, le réseau de Lycées français à l’étranger de bons niveaux et les mesures prises par les Ressources Humaines du ministère permettent des mutations plus confortables.
Ensuite, petit à petit, les agents du ministère, se rendent compte de l’importance d’un emploi du temps respectueux d’une vie saine et équilibrée. La vie familiale n’est plus seulement le problème de la femme, mais celui du couple.
Pour agir en ce sens, les Ressources Humaines du MAEDI explorent plusieurs pistes : détachements dans d’autres structures et ministères à Paris plutôt qu’un départ à l’étranger, respect du cycle de vie des fonctionnaires et de leurs enfants pour des mutations à l’étranger (en tenant compte de l’âge des enfants et des fonctions du conjoint), des doubles affectations à l’étranger pour des conjoints travaillant tous deux au ministère, etc.
Non à l’autocensure !
Ainsi, la parité avance au MAEDI grâce à sa politique volontariste, aux travaux de Femmes & Diplomatie, et à l’aménagement de l’environnement de travail qui participe à une approche moderne adaptée aux nouveaux modes de vie et au partage des tâches entre conjoints à la maison.
Néanmoins, un des plus gros problèmes pour briser le plafond de verre reste l’autocensure des femmes. Le vivier des concours reste hautement masculin et en interne de nombreuses femmes n’osent pas postuler à des postes d’encadrement.
Pour y remédier, Femmes & Diplomatie propose des séances de tutorat en interne pour inciter les agents féminins à se porter candidates.
Chez les étudiantes, il faut se dire que les concours sont difficiles pour tous, hommes et femmes, alors autant tenter notre chance, notre sexe ne déterminera pas la réussite !
Et puis, être femme et diplomate, c’est possible !
Louise MOULIÉ